Valentin et Henri Bruneau sont les frères à la tête du domaine éponyme situé à Beaumont en Véron, commune de l’appellation Chinon. Une appellation bien connue dans l’Hexagone, moins pour ses vins vivants. Les frères Bruneau s’y sont installés pour leur premier millésime en 2020. Ce sont des néo-vignerons, mais pas si néo que ça. Ils ont appris avec des noms qui résonnent bien dans le monde des vins vivants. Yvon Metras pour Valentin. Patrick Corbineau pour Henri. Leur expérience s’est aussi faite avec Bernard Baudry et Philippe Chigard.
Ils sont maintenant lancés dans leur aventure viticole, sûrement pour le meilleur.
Crédit photo mise en avant : Maison Wino
Passer le cap et devenir néo-vigneron
J’ai eu le plaisir de rencontrer Henri qui m’a parlé de chacun de leurs terroirs, de leurs passions pour le vin et leur travail.
S’ils sont complémentaires de part leurs expériences dans différents domaines avant leur installation, ils jouent à tous les postes. Personne n’est irremplaçable. Les deux frères sont sur tous les fronts, ensemble, et ça même avant d’acquérir leurs terres.
En 2013, Henri est le premier à s’immerger dans l’univers du vin. Il se plonge dans un apprentissage dans lequel son frère le rejoindra en 2015. Henri était ingénieur en acoustique. Valentin était statisticien. Ils ont tous les deux changé de voie à la suite d’un ras le bol de leur quotidien. Chacun a vécu ce fameux jour où il n’est plus possible de se lever, où la volonté a disparu. C’est à ce moment que le tournant a lieu.
Ils passent tous les deux leurs BTS viti-oeno, complétés par leurs expériences dans des vignobles français.
Pourquoi s’échapper dans le vin ?
Originaires de régions viticoles, ils n’étaient pas à leur première vendange. Pas à pas, à force de goûter avec beaucoup de curiosité, au fil des rencontres passionnées, l’envie d’aller plus loin s’installe.
Cette envie prend son sens au fil des années à travers les vignes que Valentin et Henri arpentent jusqu’en 2017. L’idée de s’installer à leur compte émerge alors. Elle fera son chemin pour aboutir à leur premier millésime en 2020. Entre-temps, ils se sont nourris de leurs expériences acquises pour faire les bons choix, avoir un plan précis, solide et mûr. Rien n’est laissé au hasard.
Henri me confie les quelques points importants pris en compte pour choisir leur futur domaine. Ils voulaient :
- Des terroirs aux sols travaillés (comprendre sans désherbants chimiques)
- Des parcelles non-gélives
- Privilégier des vignes issues de sélections massales
- Une cave naturelle taillée dans la pierre
En comptant 4 à 5 hectares par personne pour la santé économique du domaine, les voilà lancés à passer plusieurs dizaines d’appels par jour. Au fil de l’annuaire, les frères prennent les informations, les plus précises comme les signaux faibles. C’est ainsi qu’ils définissent leur point de chute. Le vigneron du domaine qu’ils acquièrent cherchait un repreneur. Une dizaine d’hectares de vignes réparties sur l’appellation Chinon, des terroirs intéressants, divers et conduits en agriculture très raisonnée. Les vignes sont entourées de bois ou de haies. Ainsi, elles sont isolées des parcelles en agriculture conventionnelle.
Le projet est prêt. Mais avant de donner un coup de sécateur, il reste à trouver les financements nécessaires. Les frères Bruneau cherchent 750 000 euros. Leur apport (170 000€) sera permis par leurs proches et entourage qui acceptent de se faire rembourser en bouteilles pour certains. La partie la plus ardue concerne l’emprunt bancaire. Là, il ne faut rien lâcher, croire en son plan bien établi jusqu’à (con)vaincre. Cela estd’autant plus difficile quand on n’est pas issu d’une famille d’agriculteurs, comme Valentin et Henri, dont les parents étaient garagistes.
Après de nombreux refus essuyés au fil des tentatives, une banque finit par accepter le projet. L’aventure est lancée pour de bon.
La philosophie des néo-vignerons
Les voilà dans leurs vignes. Le passage au bio est immédiat et 2 grands principes guident leurs actions :
- Minimiser au maximum le tassement des sols. Pour ça, le quad est le plus adapté pour leurs parcelles aux rangs assez espacés. Le quad est léger, avec ses moins de 400 kg, quand un tracteur moderne dépasse facilement la tonne.
- Minimiser les traitements, ceux au cuivre notamment. Arme de maîtrise privilégiée des maladies et champignons non-désirés à l’excès, le cuivre s’accumule dans les sols en dépit de la vie qui s’y développe. Cette vie est essentielle pour la vitalité des vignes, pour leur plus belle expression.
La certification Bio est en cours (démarrée dès 2020). Henri m’indique que le label est important à afficher pour l’export, notamment pour le marché américain. Pour eux, la valeur de cette vérification attestée n’est pas nulle mais reste faible au vu des exigences minimes à leurs yeux. Surtout que, pour eux, ce n’est pas un argument de vente, mais une volonté personnelle évidente.
Et la biodynamie ?
A propos de la biodynamie, la certification n’est pas prévue. Elle est jugée ici comme à peine plus importante que le label Bio, même si plus engageante. Certains principes sont appliqués, parce qu’ils ont constaté leur efficacité et non pour suivre la bonne recette. Tisanes, décoctions et rythme lunaire font partie de leurs outils. En ce qui concerne la biodiversité, les rangs sont enherbés naturellement pour le moment avec un travail souple au quad, plus léger, tandis que toutes les parcelles sont entourées de bois ou de hais, voire même de friches. A la question de planter des arbres dans les parcelles comme cela peut se faire ailleurs, la concurrence avec la vigne est trop forte, en plus de rendre plus difficile les passages, sans apport certain, toujours selon leur expérience.
Parlons de leurs sols
Le domaine des frères produira en tout 7 cuvées, avec 6 rouges et 1 blanc. La logique est simple : un terroir = une cuvée. Chaque parcelle a droit à sa mise en bouteille. Du cabernet franc pour les rouges et du chenin pour le blanc.
Ainsi les terroirs du domaine ont chacun leur particularité, majoritairement situés en coteaux :
- Du millarge (sable de tuffeau jaune), sur les Moulins de Beau Puy notamment.
- Sur Le Pérou, c’est le sable éolien, ramené par les vents lors du quaternaire (ère géologique), qui donne au paysage classé Natura 2000 un air sudiste.
- A nouveau du millarge sur du tuffeau jaune pour Les Pucelles.
- Du silex pour Les Puys, futur lieu-dit de l’appellation Chinon.
- Une plus commune terrasse d’Argile-calcaire pour la Roche Bobreau.
- Sur les Picasses, le terroir plus connus d’argilo-calcaire jaune domine. Il est plus hétérogène que le tuffeau blanc, également très présent dans la région.
- Un plateau argilo-sableux pour Les Chaineaux.
Une même vinification est opérée pour toutes les cuvées : égrappage, extraction légère en cuve béton. L’exception est faite pour le terroir des Pucelles, où la rafle très mûre donne l’occasion de garder les grappes entières.
De nombreuses vendanges sont faites de nuit afin de conserver la fraîcheur des raisins. Tout est fait pour que ces vendanges aient lieu en 2 à 3 jours consécutifs pour mobiliser les vendangeurs seulement le temps nécessaire.
Actuellement seules 3 cuvées sont en bouteille : Le Pérou, Les Pucelles et Les Moulins de Beau Puy. Les autres s’affinent paisiblement en barriques bourguignonnes dans les caves de tuffeau ligérien. La volonté d’Henri et Valentin est de donner le temps à chaque cuvée de se mettre en place. Une fois libérée des tonneaux pour rejoindre les bouteilles, quelques mois de patience sont encore de mise avant la commercialisation.
Ainsi les vins du domaine des Frères arriveront à point pour qui sait attendre.
Henri Bruneau à la dégustation de ses vins en plein élevage
Les premiers vins du domaine à l’épreuve de la dégustation
Sur place, dans le chai de vinification puis dans la cave taillée dans le calcaire, j’ai eu le plaisir de goûter au Moulins de Beau Puy en bouteille, puis en barrique. Fraîchement déconfiné de sa bouteille, le jus est pur, un fruit croquant expressif et d’une belle longueur. On y revient facilement, même avec cette petite raideur un peu sévère, qui vient s’assagir avec l’élevage plus long que je constate en goûtant sur fût.
Pour parler des vins qu’il aime, Henri utilise souvent le mot “vibration”. C’est ce qui motive leur passion et leur engagement en tant que vigneron. Cette vibration que l’on peut associer à l’émotion, une symbiose de sensation ou tout autre chose selon chacun, c’est ce que les frères Bruneau souhaitent susciter avec leurs créations.
Opposé aux vins vibrants, Henri parle de précision. Un vin précis n’est pas sans intérêt. Il est cadré, net et sans bavure. Il suscite moins d’émotion.
Un vin vibrant est tout aussi net, mais avec un plus, ce on ne sait quoi qui rend la dégustation magique et mémorable. De son expérience jusqu’ici, c’est toujours avec des raisins sains, récoltés et vinifiés avec une certaine délicatesse, sans artifice ni intervention excessive, que l’on obtient ce résultat. On en déduit selon ce schéma qu’un vin vibrant peut être précis, mais qu’un vin précis n’est pas nécessairement vibrant.
A la récurrente question du soufre, le cas par cas est toujours appliqué. Chaque vin est soumis à l’épreuve de l’air avant sa mise en bouteille. Selon sa tenue, 1 à 2 grammes peuvent être ajoutés (ce qui donne plus ou moins 10 à 20 mg par litre de SO² total dans la bouteille). Mais Les Pucelles n’a pas reçu de So2 par exemple. Au systématique est préféré l’accompagnement jusqu’au bout du produit de leurs parcelles, millésime et travail.
A la question du négoce (achat de raisin), les frères sont contre cette possibilité dans leur domaine. Le suivi et le travail de leur vigne tout au long de l’année leur est essentiel. Passer du temps à les accompagner pour mieux les comprendre et obtenir une récolte qui ne demandera que peu d’intervention, telle est leur ambition.
Après la dégustation d’autres vins tirés de leur fût, je constate que l’on peut être précis et vibrant, pour reprendre le vocabulaire en vigueur au domaine. Il est possible de conjuguer netteté et vibration, précision et émotion, avec ce plus et ces caractéristiques liés à leurs terroirs respectifs. C’est la première leçon tirée de cette visite au Domaine des Frères. A suivre donc l’avenir de Valentin et Henri Bruneau.
—
Rédacteur : Valentin Mery
Il n'y a aucun commentaire.