De nos jours, la bière a peu de lien, dans sa fabrication et sa culture, avec un terroir, ou son lieu de production. C’était sans compter sur le retour des brassins en fermentation spontanée. De nombreux brasseurs s’amarrent à leur territoire, en brassant ces bières de terroir.
Vous avez dit fermentation spontanée ?
L’écrasante majorité des bières que nous connaissons sont issues de fermentation permise par l’adjonction de levure exogène à un moût de céréales. Ainsi, les sucres mangés par ces levures deviennent arômes, saveurs, texture et alcool. Tous les éléments composant la bière peuvent venir de partout. Les céréales peuvent être facilement importées de France ou d’Europe. L’eau est généralement prélevée localement et sera traitée en fonction du rendu souhaité. Les houblons sont majoritairement produits dans certaines régions et sont aussi facilement importables.
Ainsi, faire de la bière grâce au terrain levurien et bactériologique local lit le breuvage à son lieu de confection. Ainsi le brasseur inclut pleinement son origine dans ses créations. On y trouve les similitudes de conception de la boisson avec les vins nature. Plus authentique, original, unique.
Et les co-fermentations alors ?
Les co-fermentations ou les macérations de fruits avec la bière, en partenariat avec des viticulteurs, des apiculteurs ou des arboriculteurs locaux ancrent aussi le brasseur dans son territoire. Une manière de créer du lien, des symbioses, du goût, de nouveaux horizons. La brasserie Bendorf, à Strasbourg, collabore avec le domaine Kumpf & Meyer dans cette idée. Le domaine viticole apporte du moût de raisins en fermentation, choisi suivant les années. Il est macéré dans un moût d’orge acide, ensuite vieilli en barrique pendant 10 mois. Le résultat, un assemblage vineux qui vieillit bien, emprunt du climat de son année de production et des raisins alsaciens.
Des brasseurs y consacrent toute leur production. Chez Septante-Deux, on s’inspire du travail de Cantillon, qui perpétue le genre depuis le XIXème siècle sans discontinuité. Située dans la Sarthe, la brasserie s’ouvre aux influences extérieures chaque année pour ensemencer une fermentation spontanée. Comme à sa source d’inspiration bruxelloise, on ouvre les fenêtres les nuits d’hiver et la bonne température ainsi que les échanges de levures et bactéries donnent naissance à une bière unique. Les brassins, ou Lambic obtenus sont ensuite élevés en fût de chêne. Ils sont assemblés pour former les cuvées, voir avec d’autres jus, fruits, vins. Cela se fait chez Cantillon (avec des framboises, des abricots, des raisins de cuve) et aussi chez Septante-Deux avec du pineau d’Aunis, cépage local du coteau du Loire. La brasserie du Mans reboucle ainsi son lien avec son territoire.
Du terroirs dans nos bières
Certaines brasseries font des bières avec des levures exogènes, mais tout de même avec un lien particulier à leur terroir. La brasserie, les Semblables (Nord Bas-Rhin) a fait le choix d’un approvisionnement local à tous les niveaux : les céréales proviennent d’un agriculteurs du village, les houblons sont alsaciens, l’eau est puisée à proximité, le bois de forêt local permet de chauffer les moûts. Même la distribution se fait dans un circuit court, avec le réemploi des bouteilles récupérées dans la région. La brasserie Popihn dans l’Yonne, fait de même avec un approvisionnement en céréale locale et des partenariats de proximité avec des vignerons locaux.
Ces choix d’approvisionnement, autant que le choix des co-fermentations en partenariat avec des producteurs locaux, ou encore des fermentations spontanées, utilisant les levures présentes dans leur milieu, sont autant de manières par lesquelles les brasseurs incluent cette fameuse notion de terroir dans leur bière. Si l’on peut faire de la bière partout, les faire de ces façons leur donne un ancrage dans leur territoire. C’est une notion que nous connaissons bien dans le monde du vin, qui fait des émules dans un monde de la bière qui évolue rapidement.
L’authenticité et la diversité des bières à fermentation spontanée
Cette recherche d’authenticité, on peut l’observer comme une suite logique de développement de brasseries à succès, qui continuent d’explorer leur art tout en se distinguant.
Le point commun de toutes ces méthodes, et qu’elles ne sont pas reproductibles en dehors d’un certain territoire. Ainsi, les bières des brasseries, citées ci-dessus, ne peuvent être reproduites et ne ressemblent à nul autre, car elles dépendent du contexte local, des levures et des bactéries du coin, du climat d’une région…
Pour aller toujours plus loin, des brasseurs se mettent même à la vinification ou à la fabrication de cidre, comme chez Popihn, où certaines barriques sont issues de bois des forêts alentour. Ou comment œuvrer avec les fruits de son terroir. Alors qu’on parle du retour (nécessaire à bien des égards) de la biodiversité aux champs, ces cuvées amènent une diversité bienvenue dans nos verres.
Si les bières de fermentation spontanées ne remplaceront pas les bières classiques d’ici demain, on peut facilement supposer que leur aspect vineux et leur authenticité sauront séduire un public large d’amateurs de bonnes boissons. Les brasseurs, comme les joyeux buveurs, sont les premiers heureux à en profiter, explorer et s’émerveiller.
Petite sélection de brasseries françaises habiles en fermentation spontanée (vraiment pas exhaustive du tout) :
- Bendorf (Strasbourg)
- La Malpolon (Montpellier)
- Popihn (Yonne)
- Septante-Deux (Le Mans)
- Sacrilège (Montpellier)
Merci aux brasseries Les Semblables, Septante-Deux, Cantillon, Bendorf qui ont largement inspiré cette réflexion. Merci aussi à la chaîne youtube Mashy pour cette vidéo en immersion dans le chai de Popihn.
Autre article sur le sujet par Marion Château : La dynamique des jus : place à la vière
Crédits photos : sites internet des brasseries présentées
1 commentaire
Très bien cet article sur des bières de terroirs.