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Irouléguy, un vignoble à l’autre bout de la France

Par Willy Kiezer | 21 octobre 2020 | Reportages | 3 commentaires

Irouléguy ! Rares sont ceux connaissant ce mot à l’accent exotique. Généralement des amateurs de vins branchés sur les terroirs perdus et pour le reste, quelques buveurs qui l’auraient vaguement entendu au détour d’une conversation. Mais cet Irouléguy, serait-ce du vin, un cépage ou une AOC ? Car il faut l’avouer, peu de curieux ont eu la chance de goûter ce vin d’appellation, et encore moins s’y sont rendus. Normal me direz-vous, Irouléguy est tout d’abord une appellation d’origine contrôlée de la région sud-ouest, souvent considérée à tort comme moins intéressante que les célèbres Bourgogne, Côtes du Rhône et autres AOC du Languedoc à la mode… Normal aussi car c’est un terroir viticole minuscule et reculé dans le Pays basque, un territoire vraiment à l’autre bout de la France. Attention, pas le Pays-Basque des plages et des férias « Biarritz – Bayonne », mais un autre, peut-être plus authentique, celui des terres et des profondeurs. Le vignoble d’Irouléguy nous attend donc là-bas, à plus d’une heure de voiture dans les terres. Réparti sur quelques communes autour de Saint-Jean-Pied-de-Port, le vignoble est le plus méridional de la région Nouvelle-Aquitaine. Autour de lui, des montagnes avoisinant les 1000 mètres d’altitude et l’Espagne, à moins d’une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau. En son cœur, des basques bien-sûr, des joueurs de Chistera et des mangeurs d’Axoa, le plat local. Quant aux vignes, seulement quelques hectares, quelques vignerons et quelques bonnes bouteilles produites…

Irouléguy, Zoom sur le vignoble

Après une arrivée bien méritée

Quel périple pour découvrir Irouléguy ! Doté de 240 hectares de vignes, Irouléguy est l’un des plus petits vignobles de France, niché dans l’arrière-pays Basque français. Autant vous dire que c’est un vignoble qui se mérite ! Du mérite pour s’y rendre bien sûr et du mérite pour se balader dans les vignes, très éparpillées sur la quinzaine de communes de l’AOC. Loin des grands axes de communication et des vignobles en monoculture, Irouléguy est un terroir d’exception aux paysages époustouflants.

Pour s’y rendre, le plus rapide est de descendre à la gare de Bayonne, puis de prendre le petit TER direction Saint-Jean-Pied-de-Port, la ville touristique locale située sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle. Il vous faudra 58 minutes pour parcourir 52 kilomètres en pleine vallée de la Nive, en mode « slow train ». Une fois sur place, la voiture s’avère très utile, tant le vignoble est dispersé dans la nature. Je vous l’ai dit, Irouléguy se mérite.

Le territoire est un écrin de verdure luxuriante. Les quelques vignes éparpillées sont nichées sur le piémont Pyrénéen. Montagnes, vallées et fraîcheur, voilà un exemple de ce que nous offre l’été dans ce paradis si reculé. Oubliez l’herbe sèche, la chaleur et la sécheresse habituelle du sud de la France et prenez plutôt une petite laine et votre parapluie car les promenades basques sont souvent pluvieuses, là-bas le mois d’août tient à sa réputation. Quant aux vignes, qui ont obtenu le statut d’AOC en 1970, elles sont majoritairement implantées sur des terrasses, souvent très pentues, comprises entre 200 et 500 mètres d’altitude, offrant d’ailleurs des spots à couper le souffle et des vues sur les sommets environnants.

Lorànt Deutsch, « à toi »

Irouléguy est un ancien vignoble fondé au XIème siècle par les moines de l’abbaye de Roncevaux. Ils y implantèrent la culture de la vigne autour de l’ancienne église Saint-Vincent, dans le village d’Irouléguy. Le vin produit était destiné aux pèlerins se rendant à Saint-Jacques. Ce n’est que bien plus tard, en 1659 avec le traité des Pyrénées, déclarant la paix entre les royaumes de France et d’Espagne, que les moines quittèrent le vignoble, laissant les habitants prendre possession des terroirs viticoles.

Point terroir du territoire

Rappelons qu’un terroir est un assemblage de plusieurs facteurs naturels et humains forgeant l’identité d’un territoire. Et vous le verrez, même pour ce vignoble de petite taille, le terroir est riche et complexe. Le point sur la définition d’un terroir, ici !

Riche de ces trois catégories de sols : grès rouges, sols argileux et sols calcaires (ces derniers étant plus minoritaires), Irouléguy nous offre une belle diversité géologique. Ces différents sols accueillent les pieds de vignes sur des pentes pouvant atteindre parfois les 40%, ça a de la gueule !

Que dire du climat, lui aussi complexe et difficile à définir. Plutôt tempéré dans l’ensemble et tirant sur l’océanique selon les saisons, notamment l’été où le vent frais et humide de l’océan peut rafraîchir le territoire et amener des précipitations. Et s’il n’y avait que cela… Irouléguy se situe au pied des Pyrénées et la chaîne de montagnes a aussi son mot à dire dans la composition du terroir, apportant son lot de « climat montagnard » à certains moments de l’année. En résumé, les hivers peuvent être froids, les printemps souvent pluvieux et humides tout comme le mois d’août, puis vient ensuite une arrière-saison plus agréable pour le vigneron : l’été indien. Ces conditions permettent de belles maturités au raisin et surtout une concentration intense. D’ailleurs les vendanges sont généralement effectuées mi-octobre, mais ça c’était avant le réchauffement climatique. Cette année par exemple, elles avaient deux semaines d’avance.

Si les vendanges arrivent aussi tard, c’est que les cépages ont leur mot à dire. La production est dominée par les vins rouges à 60 %, suivie par celle des vins rosés, à 30 %, et se termine par les vins blancs, confidentiels mais très élégants, discrets mais gourmands.

Les cépages rouges ont une peau épaisse caractéristique des climats rudes et offrent ainsi des couleurs intenses. Serait-ce encore un coup des cabernets ? Tellement plantés dans le sud-ouest. « Oui », mais pas que, car c’est d’abord le tannat qui domine l’encépagement des rouges, suivi par le cabernet franc et quelques cabernet sauvignon, tous demandant de longues semaines pour arriver à maturité. Les cépages blancs, d’une grande qualité à Irouléguy, sont un peu moins célèbres. Je préfère dire « moins classiques » et plus autochtones. On y retrouve le courbu blanc, le petit et le gros manseng. Leur marque de fabrique : une magnifique acidité. Effectivement, ils permettent aux vins blancs du vignoble de figurer parmi les vins les plus vifs du monde viticole. Imaginez-vous des maturités longues, de belles concentrations, le tout accompagné de très belles acidités, sacré potentiel ! De plaisir comme de garde. Voici donc les principales caractéristiques d’Irouléguy.

La production de l’AOC est dominée par une cave coopérative qui représente près de 60 % de la production (environ 146 hectares), suivie de 11 domaines indépendants, éparpillés sur cette aire d’appellation.

Irouléguy, un vignoble pas comme les autres…

Le plus petit vignoble européen en a, des choses à raconter, surtout pour sa taille microscopique. Et c’est certainement cela qui participe à faire de lui un vignoble pas comme les autres. D’abord parce qu’il est le seul vignoble du Pays basque et parce que c’est un territoire riche en gastronomie (Pintxos, axoa de veau et fromage Ossau-Iraty). Ensuite parce qu’il pleut beaucoup voire trop souvent : c’est l’un des vignobles aux précipitations les plus élevées de France avec environ 1500 millimètres par an. Enfin, malgré ces conditions climatologiques, nous redemandions encore de ses pentes abruptes à dévorer ! Sur place, on est comme attiré par la force du terroir.

Le mois d’aout dans le Pays basque

Trêve de géographie, parlons davantage vin car c’est surtout un vignoble atypique passionnant pour ses cépages blancs très méconnus. Et bien qu’ils soient plantés dans quelques autres appellations du sud-ouest, ils sont ici utilisés comme principaux cépages dans l’élaboration des vins blancs.

Paradoxalement, ce sont donc eux, ces blancs très minoritaires qui ont attiré mon attention. Je n’irais pas jusqu’à dire que les rouges sont sans intérêt, mais disons que je n’ai pas été émerveillé par leur style. Ce sont de très bons vins, façon « sud-ouest » que j’ai déjà pu retrouver ailleurs.

D’ailleurs un mot pour le président de l’AOC : je militerais pour ma part pour la désignation du tannat comme unique cépage noir de l’appellation. Il est bien plus identitaire que les deux cabernets, ultra plantés dans le vignoble français.

Mais revenons aux vins blancs, élaborés en assemblage de petit et gros manseng, parfois de petit courbu : ils sortent de l’ordinaire ! Peut-être qu’à boire trop souvent du chardonnay, du chenin et du sauvignon, mon palais s’est progressivement lassé de ces cépages et saveurs « standards ». Quoi qu’il en soit, la dégustation des blancs de ces fantastiques domaines : Illaria, Arretxea, Bordaxuria ou Xubialdea, a réenchanté mon palais fatigué ? je ne me suis pas ennuyé. Mieux, j’ai eu de sacrés coups de cœur.

Alors si Illaria et Arretxea sont les deux domaines stars sur l’appellation, célèbres grâce à leurs cuvées déjà disponibles chez des cavistes un peu partout en France, mon attention est retenue par les deux autres domaines : Xubialdea, le plus discret des domaines sur Irouléguy et l’étoile montante Bordaxuria. Une pensée aussi pour les domaines Espila et Bordatto que je n’ai pas eu le temps de rencontrer.

Zoom sur notre sélection des vins d’Irouléguy

Souvenirs d’Irouléguy

Comme un enfant ramenant des souvenirs de vacances, je quitte le terroir d’Irouléguy avec des images plein la tête et un sac rempli de bouteilles.

Battit, à l’ouverture

Première rencontre, le petit domaine Xubialdea. Après une matinée Ô combien pluvieuse, je prenais la direction de la frontière espagnole chez Battit Ybargaray, à la ferme d’Erratchuenea. Battit est un viticulteur discret qui n’est pas attiré par la lumière ni la gloire. Ce fervent défenseur de la langue basque est un gars humble, modeste mais qui sait faire du très bon vin. Son hectare de vignes est niché à 4 kilomètres de l’Espagne, sur la commune de Lasse. La pente abrupte où elles sont implantées nous révèle aussi la proximité avec la Nive, véritable torrent dans cette vallée.

Un seul et unique hectare pour environ 5000 bouteilles produites par an, quand le climat le permet. Battit a vendu pendant quelques années ses raisins au domaine Arretxea avant de réaliser son premier millésime en 2015, une seule cuvée de vin blanc.

Un seul et unique hectare planté pour moitié de petit manseng et pour le reste de gros manseng. Son coteau magnifique et abrupte est exposé au sud-est et son sous-sol principalement composé de vieille ampélite, un schiste pyriteux local. Ce sol très riche, permet d’ailleurs une plantation dense avec environ 10 000 pieds à l’hectare.

Battit travaille en agriculture biologique et fait tout à la main grâce à la taille humaine et en raison du caractère pentu de son domaine. Le vigneron laisse l’herbe s’épanouir sur ce sol ultra riche et complexe. Étonnamment, les vignes ne sont pas plantées en terrasse comme dans le reste de l’appellation.

La principale difficulté est le mildiou, logique avec toutes ces précipitations ! Battit commente à ce moment de la discussion : « cette année on a de la chance, il ne pleut pas beaucoup », qu’est-ce que cela doit être en temps normal…

THE Cuvée du domaine :

Le domaine produit une seule et unique cuvée « Ardan Harri », le nom basque de la pierre à vigne (le schiste). Élaborée sans artifice, cette jolie cuvée reflète admirablement son terroir. Jus dense, riche, complexe et avec cette fameuse acidité qui fait la force des grands vins blancs locaux. Elevé partiellement en barrique et en cuve, ce vin révèle de magnifiques arômes de fruits exotiques, agrumes et des notes minérales. Un travail manuel et artisanal, pour du grand art. Vous la trouverez au domaine pour un prix public de 21 €, le prix à payer pour une si belle bouteille (sur internet autour de 25 €).

Deuxième rencontre, celle de Brice Robelet chez Bordaxuria, le domaine qui monte dans l’appellation Irouléguy. Si la visite chez Battit s’est déroulée sous un ciel menaçant et 18 degrés au thermomètre, chez Brice en revanche j’ai été accueilli par 39 degrés Bien que Brice ait appris la culture de la vigne chez Yves Cuilleron, en pleine vallée du Rhône, la canicule n’est pas son truc.

Situé au nord de Saint-Jean-Pied-de-Port sur la commune d’Ispoure, le domaine surplombe toute la vallée de Saint-Jean et la première chose qui frappe en arrivant sur les lieux, c’est l’extrême dénivelé où les vignes sont implantées. Plus de 350 mètres séparent le bas du haut de la parcelle et dans les vignes, plantées en terrasse, difficile de grimper ? gravir avec l’étouffante chaleur. Brice me confirme : « c’est du jamais-vu cette chaleur… », lui aussi étant plus habitué à la pluie à cette époque de l’année.

Bordaxuria, c’est une ferme produisant aussi des fromages, du lait de brebis et de la viande sous la marque « Ferme Larraldea ». Le domaine appartient historiquement à la famille de sa femme, Elorri Reca. Les 9 hectares de vignes sont exposés en majorité au sud et bénéficient d’une sublime exposition en fin de saison estivale. Après la majestueuse parcelle du domaine Xubialdea, voici les 40 % de pente et les terrasses de Bordaxuria, sur l’Arradoy. Ici, le sol est majoritairement composé de grès rouge qui draine l’eau de pluie. Encore des conditions idéales pour la culture des 5 hectares de tannat et cabernet franc pour l’élaboration des vins rouges et des 4 hectares de petit gros manseng et petit courbu pour les vins blancs.

Le domaine commence sa conversion à l’agriculture biologique en 2015 et en 2018, naissent les premières cuvées pouvant arborer le célèbre logo Eurofeuille et AB.

« Pour moi, le réchauffement est assez bénéfique »

Brice, Maison Bordaxuria

S’il y a bien une chose à retenir de la rencontre avec Brice, c’est cette phrase surprenante sur le climat et ses caprices. Parce que oui, le réchauffement n’est pas une source de stress pour tout le monde, bien au contraire. Rappelez-vous la période des vendanges habituelle sur Irouléguy. L’agenda de la mi-octobre est souvent source de stress et de risques pour la récolte (intempéries, maturité insuffisante, pourriture). « Plus longtemps les raisins restent dans les vignes, plus le risque d’en perdre est important ». Avec le réchauffement, les dates sont avancées, ce qui diminue les risques tout en prolongeant la maturité. C’est suffisamment rare pour le souligner, surtout dans le sud de la France : vive le réchauffement !

Les cuvées dégustées au domaine Bordaxuria

Les vins made in Bordaxuria ne se résument pas qu’à une seule cuvée. Brice vinifie 5 vins, et bientôt 6, car une toute petite cuvée de vin blanc de macération verra le jour cette année. En plus de bénéficier de la fraicheur du chai, agréable dans cette chaleur caniculaire, j’ai eu l’opportunité de pouvoir goûter le vin rosé, plutôt frais et rempli de rondeur, les deux vins blancs dont la mythique cuvée « Errotik » et les deux vins rouges gorgés de tannat et de cabernet franc. Vinifiées grâce aux seules levures indigènes, les cuvées représentent, tout comme celle de Battit, le terroir sur lequel les raisins murissent et ça, ça n’a pas de prix !

THE cuvée du domaine :

« Errotik », une vraie pépite de petit et gros manseng et aussi de petit courbu. Cette cuvée est issue d’une parcelle âgée de plus de 30 ans où les trois cépages sont complantés. Tous les cépages sont ainsi récoltés, vinifiés et élevés ensemble. L’élevage est quant à lui réalisé en barrique de 400L sur lies épaisses pendant une douzaine de mois.

Conclusion :

Irouléguy représente/réunit tout ce que le monde entier nous envie. Du terroir, du caractère, de la gastronomie et des bons vins. C’est aussi un magnifique lieu pour se reposer et se balader, à l’abri du tourisme de masse. S’enfuir quelques jours dans ce territoire reculé du Pays basque fût un véritable plaisir, des yeux comme des papilles. Les vignes sont éparpillées, discrètes et offrent des points de vue spectaculaires. Mais le plus intéressant : ce sont les sublimes vins blancs que produisent une poignée de vignerons, des cuvées rares, à couper le souffle.

Rédacteur : Willy Kiezer

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