Pictogramme représentant le logo Facebook Pictogramme représentant le logo Instagram Pictogramme représentant le logo LinkedIn Pictogramme représentant le logo Twitter

La dynamique des jus, place à la vière

Par Marion Chateau | 12 octobre 2022 | Reportages | 0 commentaire

Co-fermentation de moûts de raisins et d’houblons, cidres ou poirés macérés avec des raisins ou fermentés avec leurs marcs… Nos cavistes préférés commencent à avoir en rayon des jus de plus en plus hybrides et les mondes des vins, bières et cidres n’ont jamais été aussi proches ! Et ça, les cuvées qui sortent de l’ordinaire, chez Ni Bu Ni Connu, on adore les dénicher ! On vous en dit un peu plus sur cette extension du domaine du vin avec la production de vière.

Jus co-fermentés : une histoire qui date 

On ne parle pas de vin aromatisé ici ! Le monde des fermentations a toujours été poreux. Déjà, au temps de l’antiquité, les fermentations de plusieurs fruits en même temps existaient. La brasserie Birra Del Borgo à Spedino à l’est de Rome, a même, avec l’aide d’un archéologue, tenté de recréer une recette issue de cette époque. La bière « Etrusca » contient du raisin, du miel, est élevée en amphore et, à l’aveugle, pourrait tout à fait être comparée à un vin ! En réalité, ils utilisent des raisins secs dans la recette mais l’idée est là. 

Historiquement, les gueuziers – brasseurs qui font de l’assemblage de lambics, une bière belge fermentée spontanément, sans ajout de levures – ont l’habitude de mettre des fruits, et notamment des raisins, dans leurs jus. Les lambics fruités, notamment les fameuses Krieks à la cerise, sont produites par mélange de lambic jeune avec des fruits entiers, leur pulpe ou leur jus. S’ils sont présents, la peau, le noyau ainsi que les levures présentes sur le fruit participent à l’élaboration du goût. Jean-Pierre Van Roy de la brasserie Cantillon, adepte de ces jus hybrides, les appelle « les vins de céréales« . 

Et, au-delà du goût appréciable, il existe d’autres ressemblances entre ces bières et les vins que nous apprécions. En effet, pour faire des lambics, il est donc nécessaire d’utiliser des levures indigènes et en plus, de faire vieillir le moût de houblons dans des fûts (environ 1 an pour les jeunes lambics et jusqu’à trois ans !). 

Grâce au rôle prépondérant des levures indigènes, on peut dire que le goût d’une telle bière est impacté par son microclimat et que celle-ci est issue d’un terroir unique où commence donc la complexité de la bière, qui n’a plus rien à envier à celle des vins de terroir ! 

Mais, ces faiseurs de jus qui remettent des recettes passées au goût du jour, ont voulu aller plus loin que de faire un simple assemblage ou un vieillissement en barrique viticole.

Les Italiens, très novateurs en la matière, ont même, depuis 2015, une appellation pour cela, l’IGA « Italian Grape Ale« . Cette appellation impose d’utiliser du raisin frais ou du moût de raisins lors de la fabrication (ébullition, fermentation primaire ou secondaire, vieillissement). Le champ des possibles est donc immense au regard de la diversité des cépages existants. En Italie, on compte aujourd’hui plus d’une centaine de cuvées sous cette appellation.

 Quant à la France, déjà considérée comme le pays du vin, pourrait-elle devenir le pays de la bière ? Avec ses 2000 brasseries, on peut légitimement le croire. Les synergies avec le monde du vin vont donc pouvoir être de plus en plus importantes ! Sans oublier que les nouvelles générations plébiscitent de plus en plus la bière. Selon le Baromètre SoWine, 56,5% des 18-25 ans  la bière comme boisson alcoolisée préférée et seulement 33% d’entre eux le vin1. Or, c’est un marché qu’il reste encore à développer pour les personnes qui, comme moi je l’avoue, ne trouvent aucun plaisir à décapsuler une Heineken ou une Desperados ! 

  1. Baromètre Sowine/Dynata 2022

Grape Beer, Oeno Beer, Vières : un peu de raisin dans votre houblon ? 

Pour vous expliquer la mécanique de ces fluides, j’ai rencontré Rémy Maurin, le brasseur de la brasserie Gallia à Pantin. Précurseur en France des co-fermentations de moût de raisins et de moût de houblons, il a créé en 2019 la gamme « Sauvages » qui utilise ce principe avec de multiples nuances chaque année, qui pourrait s’apparenter à un effet millésime. 

Rémy m’a donc expliqué sa démarche pour aller au-delà du simple assemblage de deux jus déjà fermentés. Gallia a inventé sa propre méthode de fabrication et déposé le nom Vière pour nommer ses produits associant bière et vin. On parle donc ici d’une co-fermentation entre un moût de raisins et un moût de bière créant une boisson pétillante avec un taux d’alcool qui varie entre 7 et 11% selon les cuvées. 

D’origine suédoise, Rémy a pu s’imprégner de la culture de la bière, très présente là-bas, avec une consommation d’environ 51L par personne en 2020 contre 30L pour les Français2. Après avoir fait le tour des microbrasseries et lu pas mal de livres américains – pays où le mouvement de Craft Beer est né et a explosé dans les années 90 – il s’est mis à brasser de la bière en France, directement dans des casseroles Ikea et avec des seaux d’Evian ! Après quelques stages et un passage à La Fine Mousse, lieu emblématique de la bière à Paris, Rémy rejoint Gallia en 2018. Grand passionné de vins natures, il dit lui-même : « Chez moi je ne bois pas de bière, ça me rappelle le boulot, je ne bois que du vin ! ». 

Comment mélange-t-il ces deux savoir-faire vinicole et brassicole ? Il achète les raisins auprès de vignerons tels que Philippe Maffre à Gaillac, Alexis Dietrich en Alsace ou le domaine Jaulin-Plaisantin à Chinon. Les raisins sont bio ou en deuxième année de conversion. Après les vendanges, les raisins sont mis dans des camions réfrigérés et sont amenés à la brasserie de Pantin. Les raisins sont ensuite égrappés et foulés puis ils sont mis en cuve sous CO2, en macération semi-carbonique. La fermentation démarre alors grâce aux levures indigènes. En parallèle, il prépare un moût de bière avec les grains de malt. Sa bière est également réalisée en fermentation spontanée, c’est donc un lambic. Les levures indigènes permettent ainsi au moût d’atteindre un pH proche de celui du moût de raisin et assurent ainsi un bon mélange des deux. Le malt Pilsner, qu’il utilise principalement, est à base d’orge et certifié Demeter. Pour les houblons, il en expérimente plusieurs selon les cépages mais tous sont issus de l’agriculture biologique. L’enjeu de cette première étape est d’équilibrer les acidités des moûts de bière et, celui de raisin qui est plus acide. Le moût de raisin fermente, principalement en cuve inox, avec des levures indigènes pendant 7 jours environ. 

  1. Beer Consumption by Country 2022 – World Population Review

Rémy ne veut pas seulement faire fermenter sa bière sur les marcs de raisins car, « parfois, la fermentation malolactique a déjà eu lieu et cela veut dire que des bactéries lactiques ont proliféré et cela n’apporte pas la même fraîcheur que faire sa propre fermentation de raisins frais. Il aura plus d’acidité lactique et moins de fruit ! ». Pierre Overnoy, célèbre vigneron du Jura, a dit « Une fermentation spontanée, c’est une course entre les bactéries et les levures » et bien évidemment, il faut que ce soit les levures qui gagnent à la fin et que le goût du fruit soit le plus présent ! Et c’est ce que cherche à faire Rémy, en contrôlant assidûment sa fermentation spontanée. Il veut des vins propres, sans défaut. Il essaie donc de se mettre à la place d’un vigneron et de faire ce qu’il appelle de la « bièrification« . Après avoir lancé sa fermentation avec la macération carbonique, il ajoute au fur et à mesure le moût de bière. Les levures issues du vin vont pouvoir également manger les sucres des moûts de houblons et pendant environ un mois et demi, la co-fermentation aura alors lieu. La clef est donc que les deux fermentations alcooliques se fassent dans la même cuve ! Le goût du raisin et du houblon se lie bien mieux ainsi.

Les expérimentations sont immenses entre les différents cépages, les différents malts et chaufferies du malt (torréfiés, fumés…), les variétés de houblons… La production de vière de la brasserie Gallia est passée de 50 hectolitres en 2019 à 500 hectolitres en 2021 et 750 hectolitres cette année. Cela montre l’intérêt du public pour ce type de boisson !

Et ça goûte quoi ces ovnis ? 

En bouche, les oeno bières sont un habile mélange entre la structure des céréales et la fraîcheur du raisin. Leur profil est plutôt sec, sur l’amertume et le végétal du houblon et sur l’acidité et le fruité des raisins. Le caractère malté est tempéré par les arômes spécifiques apportés par les différents cépages. L’amertume, issue de la cuisson du houblon, prolonge le goût de la bière tout en laissant une sensation de fraîcheur en bouche. 

Le cépage peut changer la couleur mais la variété des raisins a surtout une grande influence sur le goût final. Le malt étant plus restreint aux arômes de houblons, cela laisse un champ des possibles encore nouveau et inexploré ! 

Dégustation de Vières chez Gallia

Autre producteur à faire ce style de co-fermentation , la brasserie Sacrilège à Montpellier qui fait la cuvée Pépins, bière de style Grape Ale en fermentation mixte avec du Carignan provenant de vignes bio. Vous pouvez également retrouver la bière Liquid Love de la brasserie Hoppy Road faite en collaboration avec le restaurant parisien Le Cadoret, une Grape Ale à base de Chenin avec un élevage de 8 mois en barrique de Pinot Noir. Et la bière blonde de la brasserie Vaugermaine, issue d’un moût de Chardonnay provenant de vignes de Chablis.

Ces brasseurs ont réussi à apporter une touche française dans leur bière en se rapprochant des viticulteurs pour faire appel à leur savoir-faire. La proximité et la richesse de nos terroirs viticoles pourraient favoriser cette tendance avec l’émergence d’une vraie identité française. Peut-être sommes-nous donc à l’aube d’une nouvelle vague de styles de bière à suivre ! 

Le cidre en prend aussi pour sa pomme ! 

Bien qu’ils soient culturellement implantés en France, le cidre et son acolyte le poiré sont malheureusement souvent relégués au terrain des galettes des rois et des crêpes… Pourtant, certains producteurs font des petites merveilles que les meilleurs sommeliers s’arrachent. Tout comme le houblon, la pomme et la poire s’acoquinent très bien avec le raisin. Nous en voulons pour preuve la cuvée Widr, bel assemblage entre le cidre de Cyril Zangs et le vin à base de Syrah d’Andrea Calek ou la cuvée Poire Raisin de Côme Isambert, mélange de Chenin majoritairement et de poires.

Si on devait définir un trait commun à toutes ces boissons ? Elles sont en phase avec les goûts actuels des consommateurs. Moins d’alcool, de la buvabilité grâce à leur fraîcheur et leur profil fruité mais surtout, elles sont produites dans une démarche respectueuse de l’environnement. Cette qualité a cependant un prix ! Chez Gallia, la bouteille de 75cl de vière est vendue environ 17€. Un prix supérieur à celui d’une bière pression, dont le demi-litre coûte en moyenne 6€3 (ce qui équivaut à environ 9€ les 75cl). N’en déplaise à certains, le chemin vers la qualité et la complexité va généralement de pair avec l’augmentation du prix.  

  1. Combien-coûte.net – 2022

Il n'y a aucun commentaire.

Laisser un commentaire

Veuillez remplir tous les champs ci-dessous. Les champs obligatoires sont indiqués avec (*) :

Articles similaires :