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Le Bugey, la plus discrète des appellations de la Vallée du Rhône

Par Helene Savoye | 11 mai 2020 | Reportages | 3 commentaires

Qui ne connaît pas le Bugey n’est pas sommelier… Qui ne connaît pas le Bugey n’est pas sommelier… Stop, levez la main celle ou celui qui a la capacité de parler pendant « 1 minute 30 » du Bugey ? Personne ? Alors pour sa deuxième escapade, la rédaction de nibuniconnu est partie à la découverte d’une discrète et charmante appellation, le Bugey. Non, ce n’est pas une célèbre huile d’olive produite dans le sud mais bel et bien une appellation méconnue dans l’esprit de nombreux amateurs. Le Bugey est un « vignoble-appellation » indépendant et souvent classé avec le Jura et la Savoie dans les bouquins de vins. C’est vrai qu’il passe souvent inaperçu alors on se devait d’en parler. Située sur les piémonts des Alpes et voisines des vignobles du Jura et de la Savoie, le Bugey est une appellation de plus à mettre au compteur du mythique fleuve rhodanien. Nous connaissons tous les Châteauneuf-du-Pape, Côtes-Rôties, Hermitage et Saint-Jo, qui sont des appellations qui évoquent la majesté de ce célèbre fleuve. Maintenant nous devrons y ajouter et connaître le Bugey. Parlez du Bugey lors de votre prochain déjeuner dominical chez belle-maman, effet garanti !

L’appellation en bref

L’appellation Bugey a eu une histoire tumultueuse. Si l’on retrouve des traces de vignes remontant à 1130 avec les moines de l’abbaye cistercienne de Saint-Sulpice à Thézillieu et ceux d’Ambronay en 1135, la structuration en appellation est récente. Le vignoble a été reconnu vins de qualité supérieure (VDQS) par l’INAO en 1958 mais ce n’est qu’en 2009 (après des tentatives avortées en 1972 et en 1987), que l’AOC Bugey a été officiellement reconnue !

Sa superficie est de 470 hectares, il est 15 fois moins étendu qu’en 1870 avant que le Phylloxera ne ravage les vignobles européens. Aujourd’hui, 80 vignerons exploitent des vignes dans cette région et produisent chaque année 4 millions de bouteilles (50% rosé, 14% vin rouge et 38% vin blanc).

Les fleuves sont souvent des éléments structurant pour les vignobles : synonymes de régulation thermique et de complexité géologique de leurs vallées, ils ont également été de puissants alliés pour la commercialisation. Le Bugey ne fait pas exception puisque ses deux principales « sous-régions » sont lovées dans une boucle formée par le Rhône qui descend de Suisse avant de remonter vers Lyon !

Quelques mots sur la géologie du Bugey. Nous sommes sur les derniers plissements méridionaux du Jura (ère Tertiaire), le Grand Colombier culminant à 1534 mètres d’altitude domine la région où la forêt est reine et où la vigne est cultivée dans un ensemble de clairières.

Cerdon – Manicle – Montagnieu – Belley, les terroirs

Le Bugey est donc une collection de terroirs aux situations géologiques très différentes. Les fortes de pentes du Cerdon où la vigne est cultivée jusqu’à 500m d’altitude (sols calcaires), la terrasse de Manicle inclinée vers le sud à 300m d’altitude et adossée à une falaise (sol formé d’éboulis et de graviers calcaires), le vignoble de Montagnieu installé au pied des reliefs de calcaires jurassiques, sur des coteaux dont les fortes pentes sont exposées au sud et présentent des sols argilo-calcaires peu profonds, Belley qui s’étend des contreforts du massif du Colombier jusqu’au rivage du Rhône avec des sols bien drainés (composés de formations calcaires et marneuses du Jurassique ou du Crétacé inférieur, molasses – dépôts marins issus de l’érosion des Alpes – du Miocène, moraines glaciaires ou alluvions anciennes.)

Zoom sur le coteau de Montagnieu

Le coteau de Montagnieu possède une forte pente (de 30 à 70%) et une exposition idéale sud-sud-ouest. On trouve dans son sol les plus belles argiles qui sont particulièrement propices à la culture de la roussette (autre nom de l’altesse en raison de la couleur rousse que prennent les baies avec une belle exposition).

Roussette de Montaignieu

L’histoire de Caroline Ledédenté, néo vigneronne dans le Bugey


« Moi, le Bugey, je n’en avais jamais entendu parler ! Pourtant, quelle finesse, quels profils aromatiques ! J’ai pris une claque dès mes premières gorgées ! Je m’y suis intéressée de plus près, j’ai compris que j’avais découvert des vins qui me plaisaient énormément. » Caroline Ledédenté, vigneronne à Artemare, Bugey

En effet, cette région sauvage et enclavée est difficile à appréhender. Ici, vivent en harmonie de nombreux cépages locaux tels que l’Altesse, la Jacquère, la Molette, la Mondeuse blanche, mais aussi des Pinot gris, des Aligotés, des Chardonnays pour les blancs. Pour ce qui est des rouges, vivent tout autant en harmonie des Mondeuses, des Gamays et des Pinots Noirs. Quant aux Poulsards, ils aiment compléter pinots noirs et gamays pour l’élaboration des rosés.

Ce que l’on apprécie avec le Bugey, c’est un style de vin porté par de belles acidités, enrobées de jolies expressions aromatiques tout en étant relativement peu alcoolisés !

On ne s’en doute peut-être pas, mais 60% de la production concerne des vins effervescents ! Certes en méthode traditionnelle, c’est-à-dire un processus similaire aux crémants et autres champagnes comprenant une deuxième fermentation en bouteille. Pour plus d’éléments techniques, sachez que la prise de mousse est de 9 mois minium pour les Bugey Brut et de 12 mois pour les Bugey Montagnieu Brut.

Avec 30% de la surface totale du Bugey en viticulture biologique, un dynamisme enthousiasmant se perçoit, notamment au sein de la nouvelle génération. Et heureusement, car le Bugey déplore un nombre plus important de départs à la retraite que d’installations de jeunes repreneurs.

Anne-Sophie Bonnard nous raconte en effet qu’il y a à peine 8 ans, l’avenir était sombre pour la région. Son père et son oncle ont créé le domaine Bonnard en 1988, s’inscrivant dans les pas d’une famille paysanne installée depuis toujours dans le Bugey, le grand-père d’Anne-Sophie pratiquant la polyculture avec 1ha de vignes, de quoi faire un vin de garage à partager avec les copains. Si au domaine installé à Crept (dans l’aire d’appellation Montagnieu), on y a toujours cru, cela ne bougeait pas beaucoup dans la région, les voisins arrêtaient leur activité, il n’y avait pas de repreneurs, le respect de l’environnement était loin d’être une priorité, la notoriété était difficile à construire.

Et puis le vent a tourné. Les consommateurs ont commencé à rechercher des vins avec une identité locale forte, ils aiment les vins frais et sans trop d’alcool, les vins bio et nature. Avec ses cépages autochtones, son foncier accessible attirant la jeune génération qui peut travailler proprement grâce aux parcelles isolées et souvent d’un seul tenant, sa roussette et à sa mondeuse qui atteignent de belles maturités sans trop d’alcool, faisant du réchauffement climatique une menace moins imminente que dans d’autres régions, le Bugey a désormais le vent en poupe ! Les sommeliers comptent d’ailleurs pour beaucoup dans cette nouvelle notoriété, ils goutent les vins du Bugey, les mettent à leurs cartes en faisant de la pédagogie autour de ces vins identitaires et il y a une vraie mise en avant avec de belles cuisines.

Dans cette nouvelle génération de repreneurs, on trouve notre parisienne et ingénieure, Caroline Ledédenté qui nous parle de son arrivée dans ce coin méconnu : « Pendant deux ans, je me suis mise à rencontrer de nombreux producteurs, j’avais tellement de questions à leur poser. Tout m’attirait dans leur démarche ! Jusqu’en 2017, j’ai continué mes rencontres et mes visites, j’ai compris que je souhaitais moi aussi faire du vin ! Après des recherches et des discussions, je me suis orientée en BTS à l’école de Montmorot, dans le Jura, un ami qui l’avait faite aussi pour sa reconversion, m’a encouragée et j’ai eu mon diplôme, mention Biologique ! Avec beaucoup de terrain, de supers outils pour démarrer et un accueil incroyable ».

Et oui, « Mention Biologique », un vrai virage novateur dans la formation viticole. Comme Caroline, de plus en plus de producteurs prolongent cette philosophie de travail dans leurs chais, et apprécient l’élaboration des fameux effervescents par la méthode ancestrale ; c’est-à-dire laisser une fermentation démarrer naturellement, qui s’arrêtera avec les basses températures hivernales, le vin est alors mis en bouteille et poursuivra sa fermentation au printemps, avec une durée de prise de mousse minimum de 2 mois.

C’est le cas du chardonnay « Psssit Tac », de Caroline, sans intrants, en Vin de France, comme le reste de sa production. Ils sont d’ailleurs nombreux à expérimenter des méthodes qui font sortir leurs vins des AOC. S’affranchir des codes pour plus de liberté, c’est parfois gage d’un style de vin plus en phase avec leurs personnalités, plus marqué d’une identité bien singulière.

Les appellations et les dénominations du Bugey

Il existe 7 dénominations de l’AOC pour la région, qui se déclinent comme suit :

Autant de styles et de nouvelles expressions à découvrir donc ! Les vins du Bugey, aussi bien en blancs qu’en rouges, ont l’envergure de vins de gastronomie. Le climat unique leur confère de très grandes acidités qui tiennent les vins sur la longueur. Faites l’expérience d’une belle Altesse ou d’un Chardonnay riche sur des poissons à chair !

Il n’est pas facile d’en trouver partout, les vins sont vendus à 90% à une clientèle de passage ou locale en vente directe par des exploitations familiales. Le Bugey ne serait-il pas assez sexy ? Faux. Au contraire, ses vins méritent d’atterrir dans les verres pour bousculer nos accords traditionnels ! Cependant, c’est une région où les traditions ont la vie dure, dans le sens où – comme partout – les pratiques mettent du temps à évoluer.

Les rendements autorisés, parfois élevés (65hl/ha en moyenne, pic à 78hl/ha) permettent l’élaboration de vins avec moins de concentration ; les années chaleureuses peuvent donner des vins solaires, le climat continental et les étés très chauds favorisent les montées en sucres, c’est là que le travail du vigneron fait la différence.

Comment voit-on l’avenir dans le Bugey ?

Du côté de la Maison Bonnard, on est en biodynamie depuis le début donc les pratiques à la vigne ne vont pas beaucoup évoluer et on souhaite maintenir le parcellaire qui a atteint 16ha avec une moyenne d’âge de 20/30 ans à ce niveau (en faisant des aménagement pour rendre le vignoble très pentu plus praticable, moins dangereux). C’est à la cave que cela commence à bouger. Romain Bonnard, revenu au bercail à la fin de ses études et désormais associé, et Anne-Sophie qui n’est pas encore au domaine à 100% ont commencé à expérimenter à partir du millésime 2019. Ils ont par exemple fait un essai de vinification de la Roussette en cuve béton ou un essai de vinification de la mondeuse en grappe entière, sur une parcelle isolée, vendangée en dernière, avec les grappes ramassées en caisse, et descendues au seau dans la cuve pour ne pas les abimer. Comme souvent, leur père et leur oncle encore aux commandes étaient sceptique mais en goûtant, ils ont vu l’intérêt et sont partant pour faire d’autres essais l’année prochaine. Dans le cas de transmissions familiales, il faut être patient et faire ses preuves !

Les Gravelles

L’avenir, c’est se poser des questions sur les cépages dans le cadre du réchauffement climatique. Aujourd’hui, la Roussette, la Mondeuse, sont pour l’instant tranquilles mais cela va vite, qu’en sera-t-il dans 10 ou 15 ans ? Pour le Chardonnay et le Pinot Noir qui sont majoritaires dans l’encépagement, on atteint déjà des degrés qui sont limites et on réfléchit à les remplacer par du Persan ou de la Petite Sainte Marie.

L’avenir c’est aussi communiquer de façon plus moderne : au domaine, on a toujours fait des cuvées parcellaires mais sans l’expliquer. A partir du millésime 2019, les étiquettes des vins feront connaître les lieux dits qui les voient naître. Le Chardonnay « classique » est issu d’une parcelle se trouvant en sous-bois, au-dessus d’un cours d’eau qui s’appelle la Brive. Le Pinot Noir est cultivé dans une zone de galets roulés, « les gravelles ». Le Gamay a été planté avec difficulté sous un arc rocheux, « les arcs », il doit son caractère aux racines qui vont loin dans le caillou. Quand on sait où le vin est né, on le comprend mieux.

Enfin, l’avenir passe par l’oenotourisme et la famille Bonnard souhaite rénover des Grangeons, ces petites maisons de vignes dont beaucoup ont disparu mais qui restent encore nombreuses sur le coteau de Montagnieu pour en faire des chambres d’hôte et mieux accueillir les visiteurs qui viennent découvrir la région et ses vins.

Les Arcs

Le mot de la fin ?

Quand on demande à Anne-Sophie Bonnard ce qui lui plait le plus dans sa région, elle qui a voyagé dans tant d’autres vignobles, elle répond que c’est sa simplicité, sa convivialité, le sens du partage entre vignerons et avec les visiteurs. C’est peut-être cela, ce petit quelque chose en plus que l’on ressent dans les vins ?

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Place à la dégustation des vins du Bugey

La rédaction de nibuniconnu a convié des palais aiguisés afin de faire un tour de cette région pleine de promesses !

Sur la dizaine de vins présentés, nous sommes passés par des expressions très variées des cépages, de belles surprises aromatiques et enfin la possibilité de mettre des mots sur le Bugey !

Coups de cœur de la rédac’ :

Hélène :

En Pleine Nature de Caroline Ledédenté, domaine Grain par Grain. Tout y est, du fruit croquant, du jus qui s’étire grâce à une juste acidité qui nous emmène loin, même après plusieurs minutes de commentaires… Ce pinot noir élevé en barrique de beaujolais a tout ce qu’il faut de finesse et d’aromatique pour nous faire vider la bouteille le temps de le dire !

Willy :

Difficile de faire un choix, alors j’en ai fait deux. Une sublime Roussette du Bugey de 2015 du domaine Thierry Tissot. Un vrai vin blanc frais, complexe qui montre que cette région est qualitative dans la production de vin. Ce très beau domaine de 5 hectares est certifié à l’agriculture biologique depuis 2019 mais était depuis longtemps sans utilisation de pesticides de synthèse. Les vins produits sont frais et très fruités.

Ensuite, le rosé « Eros » du domaine de la Cave du Buizin. Un rosé de presse et de gastronomie, rond et complexe. Loin des rosés sudistes que l’on connait (trop), bravo Maud. Sublime petit domaine de 1,5 hectares. Les cépages utilisés sont aussi rares et autochtones à la région du Bugey. Bien que la mondeuse soit représentée à 30%, les autres cépages sont méconnus et rares comme le Ribier Noir, la Gueuche Noire, la Madeleine ou encore l’Abondance.

Romain :

Donnons un coup de cœur par couleur ! Chez les blancs, j’ai aimé l’équilibre de la Roussette de Montagneu de la Maison Bonnard avec au nez une alliance de noisette, de notes florales et un petit côté fumé et en bouche une trajectoire qui s’étire portée par une belle acidité et une texture onctueuse. Dans les rouges, je rejoins Hélène sur le très beau Pinot Noir « En pleine nature » de Caroline Ledédenté, Grain Par Grain : la profondeur, une aromatique qui mêle fruits noirs, notes animales et épices, une bouche qui a de la structure mais sans manquer de fraicheur. Et pour finir, le rosé de Maud Blache avec ses notes de fruits mûrs, de fruits cuits, et surtout cette bouche qui surprend par sa structure alors que le nez était relativement timide et s’estompe avec une noble amertume. Le Bugey possède une diversité de vin fort intéressante !

Alexandra :

Sans hésitation c’est pour la Mondeuse de la Maison Bonnard que mon palais a chaviré. Nez gourmand, sur des notes de fruits rouges et d’épices douces. La bouche est souple, dotée d’une très grande fraicheur.

VINS

1 :  Montagnieu – Maison Bonnard – Chardonnay/Pinot Noir, Méthode Traditionnelle

2 : Altesse – Thierry Tissot – Coteaux de l’Ain

3 : Roussette de Montagnieu – Maison Bonnard

4 : Mataret – Roussette du Bugey – Thierry Tissot – Altesse

5 : Eros – Cave Buizin, Maud Bache – Mondeuse, Ribier Noir, Gueuche Noir, Madeleine et Abondance – Rosé de presse

6 : Mon p’tit rouge – Cave Buizin – Maud Blache – Pinot Noir/Gamay 

7 : En Pleine Nature – Caroline Ledédenté, Grain Par Grain – Pinot Noir

8 : Philia – Cave Buizin – Maud Blache – Mondeuse

9 : Mondeuse de Montagnieu – Maison Bonnard

10 : Mataret – Thierry Tissot – Mondeuse

 

Carte des vignerons du Bugey :

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