“La région est couverte de vignes. Elles sont partout sur les collines, tout autour d’Auxerre”. Voici les mots du frère Salimbene de Parme (1221-1288) au retour de son voyage en Bourgogne qui, en plein Moyen Âge, s’était rendu dans l’Yonne, plus précisément dans l’Auxerrois. Le moine franciscain parlait alors d’une monoculture commerciale, tant la vigne dominait les autres cultures et était de loin le premier employeur de la région. Difficile aujourd’hui de croire cela mais le nord Bourgogne fut bel et bien l’un des plus grand théâtre de la vigne française au Moyen Âge. À cette époque, les vins y sont très réputés et via la rivière Yonne ils s’exportent à Paris et même dans les pays nordiques. Au fil des siècles, le développement des autres vignobles méridionaux et les guerres, notamment le conflit opposant Bourguignons et Armagnac pendant la guerre de 100 ans, annonceront un léger déclin. Plus tard, à l’aube du terrible XIXème siècle, le vignoble de l’Yonne, comptabilise encore plus de 35 000 hectares de vignes. Et ce n’est que dans la deuxième partie de ce siècle, avec le développement du rail et l’attaque du phylloxéra, que le vignoble perdra de son prestige d’antan. Aujourd’hui, le département de l’Yonne abrite 7 000 hectares de vignes et il est reconnu sous le nom de vignoble de Chablis et du Grand Auxerrois. Ce Grand Auxerrois, à l’ombre du géant chablisien, ne représente que quelques hectares de vignes et c’est pour cela qu’il nous intéresse. Autrefois célèbre, ce vignoble est aujourd’hui composé de quelques appellations assez méconnues. Il y regorge de petites pépites souvent à des prix bien plus faibles que ceux pratiqués par les stars de la Grande Côte situées plus au sud. Alors ça vaut le détour et le coup d’y jeter un œil…
« La région est couverte de vignes. Elles sont partout sur les collines, tout autour d’Auxerre«
frère Salimbene de Parme (1221-1288)
Le Grand Auxerrois, plus petit vignoble bourguignon
Passage inaliénable entre la capitale française et la capitale des Gaules, la Bourgogne est un célèbre territoire de culture, de patrimoine et de gastronomie. Et bien évidemment que la vigne et le vin y sont pour quelque chose. Du nord au sud, de Joigny à Mâcon, en passant par les Climats de Côte d’Or, le vignoble bourguignon s’étend aujourd’hui sur 28 800 hectares.
Si les Côtes de Nuits et la Côte chalonnaise figurent parmi les subdivisions (sous région) les plus connues de la région, le Grand Auxerrois est quant à lui, le plus petit, le plus discret, le plus frais et le plus septentrional des “vignobles” bourguignons avec seulement 1000 hectares de vignoble, éparpillés entre l’Auxerrois, le Tonnerrois, le Jovinien et le Vézelien. Avec Chablis, il forme le secteur nommé Chablis et Grand Auxerrois.
La complexité des appellations bourguignonnes, une spécialité régionale
Complexité bourguignonne
Réputée pour sa moutarde et le prestige légendaire de ses vins, la Bourgogne l’est aussi pour la complexité de son système et la quantité d’appellations. D’ailleurs la région a longtemps présenté le nombre indécent de 100 AOC mais préfère aujourd’hui communiquer sur celui de 84 appellations d’origine contrôlée.
C’est bien évidemment sans compter les nombreuses dénominations complémentaires et géographiques de la région, venant complexifier le tout, et rien que pour le plaisir, nous allons toutes les citer :
- appellation régionale (AOC Bourgogne),
- appellation régionale à dénominations géographiques complémentaires (AOC Bourgogne Côte Chalonnaise, Bourgogne Hautes Côtes de Nuits),
- appellation régionale avec nom de cépage (AOC Bourgogne Aligoté),
- appellation régionale pour les effervescents (AOC Bourgogne Mousseux, Crémant de Bourgogne)
- autres dénominations historiques assez peu utilisées (Bourgogne Passetoutgrain et les Coteaux Bourguignons)
Des appellations régionales bourguignonnes “limites” plus incompréhensibles que les célèbres appellations communales et leurs dizaines de lieux dits, de parcelles Premier Cru et enfin d’appellations classées Grand Cru… le consommateur s’y perd… et nous on a besoin d’aspirine. Et bien que plus petit secteur de la Bourgogne, l’Auxerrois ne déroge pas aux règles sur ce sujet…
Les appellations du Grand Auxerrois
Les appellations régionales
Comme partout ailleurs dans la région, il est donc possible de faire du vin répondant aux divers AOC régionales génériques (Passetoutgrain, Mousseux, Crémant et Coteaux Bourguignons) mais elles ne sont pas très utilisées. La palme revient aux appellations régionales à dénomination géographiques locales et la plus grande se nomme Bourgogne Côtes d’Auxerre, ou 240 hectares de vignes sont nichés au sud de la ville et réparties sur 5 communes avoisinantes. Les autres AOC régionales à dénominations géographiques sont Coulanges-la-Vineuse (118 hectares), Bourgogne Chitry (77 hectares), Bourgogne Epineuil (71 hectares) et Bourgogne Tonnerre (57 hectares). Inutile d’insister sur le fait que les cépages utilisés sont le chardonnay et le pinot noir, Bourgogne oblige ! Se transformeront-elles un jour en appellations indépendantes ou communales ?
Les appellations communales
Quelques appellations bénéficient du statut d’AOC autonome et indépendante et font figures de “stars” dans l’Auxerrois. La plus connue est Irancy, une petite appellation de 190 hectares de vignes exclusivement productrice de vins rouges à base de pinot noir (y est aussi autorisé le cépage césar). Saint-Bris est la deuxième AOC communale et ne produit que des vins blancs à base de sauvignon, elle est donc la seule en Bourgogne à utiliser ce cépage très ligérien et enfin Vézelay, la petite dernière en date, obtenue en 2017 et ne produit que du blanc à base de chardonnay. C’est donc dans ce joli secteur que nous sommes partis en reportage, admirer ce paysage viticole méconnu et surtout goûter les vins locaux…
Retour de visite dans le Grand Auxerrois
Domaine Goisot, Bourgogne Côtes d’Auxerre, Saint-Bris
Première visite, première rencontre avec un pionnier du bio dans le secteur, le domaine familial est bu et reconnu dans l’Auxerrois. L’entreprise viticole est basée à Saint-Bris et elle est aujourd’hui tenue par Guilhem Goisot. Le grand domaine de 30 hectares s’étend sur les communes de Saint-Bris, Irancy et quelques parcelles sont même plantées sur le terroir de Chablis. Guilhem produit principalement ses cuvées en appellation Bourgogne Côtes d’Auxerre mais aussi en AOC communales Irancy, Saint-Bris et même Chablis.
En 2004, après avoir repris la gestion du domaine, Guilhem et son épouse Marie obtiennent la certification Demeter pour la pratique de la biodynamie. Plus d’une quinzaine de cuvées sont élaborées au chai. Des vins blancs et rouges au style classique et très bien réalisés qui permettent d’accompagner l’apéritif au plat principal en passant par le fromage. Point important et grand avantage au domaine Goisot, le prix. A ce tarif (entre 12 et 25 €), il est rare d’avoir aussi bien fait dans la Bourgogne, et pas que dans l’Auxerrois…
La cuvée sélectionnée : Le Court Vit blanc 2018, AOC Bourgogne Côtes d’Auxerre. Un chardonnay gourmand avec une jolie tension qui persiste pendant de longues secondes.
Prix : aux alentours des 15 €
Domaine Alice et Olivier De Moor, Bourgogne Chitry
C’est Olivier De Moor qui nous reçoit au domaine. Un vigneron plutôt discret et aux apparences austères. Mais ne nous a-t-on jamais appris à nous méfier des apparences ? D’ailleurs dans le monde mystérieux du vin au naturel (celui qui commence quand la culture de la vigne se fait sans aide de la chimie de synthèse) les vins du domaine De Moor figurent parmi les plus réputés dans le Chablisien et le Grand Auxerrois. Situé à Courgis, le couple cultive aujourd’hui près de 10 hectares de vignes dont la majorité sont implantées sur l’appellation Chablis, le reste étant lui implanté sur Chitry et répondent à deux autres appellations : Bourgogne Chitry et Aligoté.
Même si tous les vignerons sont différents les uns des autres, il faut avouer qu’Olivier De Moor est un être à part. L’homme est arrivé sur terre pour faire du vin sur Courgis, pour faire de l’excellent vin dont on ne peut que se souvenir. Marqué par l’expérience de la dégustation ainsi que par les sujets agronomiques discutés avec le vigneron, nous repartons avec des étoiles plein les yeux. Le domaine est certifié depuis de nombreuses années à l’agriculture biologique et élabore des cuvées sans intrants œnologiques hormis quelques sulfites à la mise en bouteille.
La cuvée sélectionnée : Bourgogne Chitry 2018, un chardonnay qui a de l’allure, de la gueule, de la fraîcheur et de la complexité. Une finale en bouche salivante qui donne vraiment envie de se resservir et d’ouvrir une bouteille. Les vins du domaine ne sont pas donnés et l’on comprend très bien pourquoi, tant ils révèlent l’identité des terroirs dans lesquels les raisins mûrissent…
Prix : aux alentours des 25 €
Domaine les Faverelles, Vézelay
Aux pieds de la célèbre colline éternelle se trouve le petit domaine les Faverelles. Situé à Asquins et à deux pas de Vézelay, le domaine est tenu par Isabelle et Patrick Bringer. Installés depuis le début des années 2000, les vignerons se sont très vite tournés vers le bio ainsi que vers la biodynamie. Après une mauvaise expérience avec les produits de synthèse (irritations successives) après des traitements, Patrick et Isabelle ont fait le choix d’une agriculture plus durable. Pour l’anecdote, leur ancienne chienne “Muse” était même capable de reconnaître des raisins traités par pesticides de synthèse. Comme quoi le chien est vraiment le meilleur ami de l’Homme…
5,75 hectares de vignes sont cultivés sur les coteaux parfois pentus du terroir de Vézelay. Entourées de forêts, le lieu est propice à la biodiversité. Bien que l’AOC Vézelay n’autorise que le chardonnay et donc l’élaboration de vin blanc dans son cahier des charges, Patrick trouve que c’est un terroir idéal pour la culture du pinot sur des sols issus du Bathonien (ère géologique) moyen et inférieur. 4 cuvées sont élaborées au domaine, 2 vins blancs et 2 vins rouges (cuvées Nez de Muse et Fleur, en blanc et et rouge).
Ancienne mairesse d’Asquins, Isabelle est l’une des premières élues à interdire l’utilisation de pesticides dans une commune française. Le couple est aussi un défenseur d’un travail artisanal et de qualité et propose ses cuvées à des prix très abordables, surtout pour la qualité des vins qu’ils proposent.
La cuvée sélectionnée : Fleur 2018, un chardonnay bien rond, aux accents jurassiens du à la présence de notes légèrement oxydatives. Un joli effet du bois d’acacia (50% de l’élevage) qui se ressent dans la cuvée. Une belle acidité viendra envelopper vos papilles et une fin de bouche bien saline clôturera le tout !
Prix : aux alentours des 15 – 17 €
Domaine la Soeur Cadette, Vézelay
Après les Faverelles, nous avons sélectionné un deuxième domaine sur le vignoble vézelien, le domaine la Soeur Cadette à Saint-Père. Les 20 hectares de vignes sont aujourd’hui vinifiés par Valentin Montanet, jeune vigneron à la tête du domaine de la Cadette.
Chez lui, l’accueil est chaleureux et c’est un euphémisme. Nous l’avons compris en arrivant pour 14h, dans l’idée d’aller voir les vignes et de goûter les vins comme nous l’avions fait jusqu’ici. Mais nous sommes d’abord passés à table, ou plutôt une deuxième fois à table… Réunion familiale oblige, partager un repas gourmand n’était pas négociable. Nous n’étions pas partis, que nous avions déjà envie de revenir.
Nous racontons cette anecdote parce qu’elle a tout à voir avec les vins de la famille Montanet-Thoden. Généreux, gourmands, mais aussi vifs, toniques, énergiques. A table cela se traduit par un plaisir non dissimulé de savourer des produits frais, locaux et gouleyants, tout en discutant avec énergie, en dévorant débat après débat. Un moment intense, que l’on peut déguster en libérant un vin de la Cadette.
Après un repas riche en émotion nous sommes enfin allés goûter dans le chai ce que nous n’avions pas. Le style s’est confirmé et Valentin nous raconte avoir appris à faire des vins « francs et marchands », notamment lors de sa première expérience au Château Cambon, puis au domaine Raveneau et avec Pacalet, respectivement pour la vinification des blancs et des rouges. Il a ainsi appris à faire des vins qui lui ressemblent : authentiques, francs et pleins d’énergie.
Sur la quinzaine de cuvées proposées, nous avons sélectionné “La Châtelaine”, en AOC Vézelay. Un vin blanc franc, minéral et limpide, qui éguise les papilles tellement le jus est ciselé. Un vin blanc qui irait parfaitement sur un fromage de chèvre local…
Prix de la cuvée : aux alentours des 20 €
Conclusion
L’Auxerrois, pardon le Grand Auxerrois, est sans aucun doute le plus discret des vignobles bourguignons. Mais ce dernier offre aussi des vins aux prix les plus abordables de la région et nous l’avons vérifié car il y en a des petites pépites à dénicher.
Les 4 domaines visités nous semblent être des valeurs sûres mais d’autres travaillent tout aussi bien leurs vignes et élaborent de belles cuvées. Le domaine Bersan, le jeune Edouard Lespem mais aussi Madelin Petit, Richoux Gabin et plus loin à Tonnerre avec une certaine Céline Côté sont autant de domaines, de vigneronnes et de vignerons à qui l’on peut faire confiance. Vous n’avez plus d’excuses pour ne pas vous y arrêter…
Retrouvez notre podcast sur l’Auxerrois en cliquant ici.
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Rédacteur : Willy Kiezer
Reporters : Mademoiselle Jaja & Valentin Méry
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