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Le mystérieux vin orange

Par Willy Kiezer | 11 février 2020 | Reportages | 1 commentaire

“Du vin orange ?”

“Mais, qu’est-ce que c’est ?” 

Voici la réponse de mes clients lorsque je propose un vin orange pour accompagner certains de leurs plats ou tout simplement pour découvrir un vin original. Guère étonnant lorsque l’on sait que ce vin n’est produit que par une petite poignée de vignerons nichés dans des terroirs viticoles le plus souvent reculés. Au delà des classiques rouges, blancs et rosés, le vin orange est encore un vin de niche que seuls quelques amateurs passionnés et avertis connaissent du bout des lèvres. Mais répondons à la question de notre introduction : “Qu’est-ce que du vin orange ?” Encore une fantaisie issue d’une invention industrielle ou un vin bourré de colorant ? Aussi vous l’aurez compris, enfin je l’espère, ce n’est pas, non plus, d’un vin à l’orange conçus par nos mamies dont nous parlons ici mais bel et bien d’une quatrième couleur à mettre sur une carte des vins. Ce fameux vin allant d’une couleur jaune foncée à celle d’une orange sanguine est produit uniquement à partir de raisins blancs, comme nos amis les vins blancs. Mais en pratiquant aussi une vinification se rapprochant de celle de nos amis les vins rouges. La peau des raisins, fine et avec peu de pigments de couleurs, va donc macérer avec le jus fraîchement pressé afin d’extraire couleurs, arômes et matières. Certains professionnels préfèrent parler de vin blanc de macération quand d’autres utilisent l’expression vin orange. En vérité, les deux définitions sont exactes car les couleurs varient en fonction de la durée de macération et aussi du cépage utilisé. Afin d’en connaître davantage sur ce vin atypique, nous sommes partis à la rencontre de professionnels avisés qui se sont fait un plaisir de nous éclairer. Enfin, notre jeune rédaction a organisé, en fin d’année 2019, une dégustation : 10 vins oranges (ou presque) et 10 dégustateurs ! Notre objectif : Décrypter et analyser ces vins qui font de plus en plus saliver nos passionnés…

 

D’où vient-il ?

“Certainement pas de la ville d’Orange”

Orange is not the new wine (orange n’est pas le nouveau vin). Cette phrase, en anglais bien-sûr, pourrait être le titre de ce paragraphe consacré aux origines de notre vin à la couleur d’une tenue de prison américaine. Car il faut le dire, le vin orange ne saurait être une petite mode “chimique” comme le vin bleu. Loin de là d’ailleurs, notre acteur du jour n’est autre que l’un des vins les plus vieux du monde, rien que ça&nbsp!

Très ancien, donc, mais aussi très lointain car ce vin aurait été produit pour la première fois à la frontière actuelle entre l’Europe et l’Asie. Vous l’aurez sans doute deviné, ce n’est pas en Italie ou en Grèce mais en Géorgie que notre vin a été vinifié pour la toute première fois, 6 000 ans avant notre ère. C’est d’ailleurs dans ce même pays, que l’on trouve les toutes premières origines du Vin.

La Géorgie est un tout petit pays, par la taille, mais grand par son histoire liée au vin. A l’ouest Il est bordé par la mer Noire, au nord par les montagnes caucasiennes. Cette géographie lui offre des terroirs uniques au monde. La Géorgie est aussi frontalier avec la Russie, l’Arménie et la Turquie et ces derniers ont beaucoup influencé son histoire. Aujourd’hui répertorié au 20ème rang mondial par la quantité de vin produit, le pays est composé d’une multitude de terroirs répartis sur près de 18 appellations. De nombreux domaines et beaucoup de particuliers cultivent toujours quelques 500 cépages autochtones comme le Saperavi ou le Rkatsiteli. Bien avant nos vins blancs clairs et limpides comme de l’eau de roche et nos rouges noirs cerises charpentés, c’est aussi un autre style de vin que ces anciens vinificateurs auraient inventé : notre vin orange, vinifié dans de belles Jarres en terre cuite appelée “qvevri”.

L’histoire mouvementée de ce joli pays aura mis aux oubliettes notre discret vin orange. L’Empire Ottoman, alors musulman, y avait prohibé l’alcool et les exploitations viticoles n’étaient alors présentes que pour la production de raisins. Plus récemment, l’époque soviétique, aura quant à elle permis de produire à nouveau du vin, mais de piètre qualité et uniquement pour une production de masse. Il aura fallu attendre le début du XXI ème siècle pour voir revenir notre liquide aux couleurs miels. Bien que toujours produit de façon familiale et confidentielle en Géorgie, ce sont l’Italie et la France qui auront permis au breuvage de reprendre des couleurs…

Crédit photo : Le Figaro vin – Jarre qvevri contenant (certainement) du vin orange il y a 8 000 ans.

Goût, mode et production

“Des vins moins fragiles” – Adrien de Mello, Domaine de la Petite Sœur

Il est difficile d’imaginer le goût de notre vin tant il sort des standards actuels proposés chez les cavistes (et même les supermarchés). En effet, n’étant ni un blanc, ni un rouge et très loin du rosé, le vin orange est un style de vin différent avec ses saveurs, ses arômes et son goût unique. Un gros défaut serait, lors d’une dégustation, de le comparer avec une autre couleur. Nous sommes amenés à vous conseiller de rester simple dans votre analyse : “J’aime ou je n’aime pas.”

Stéphane, gérant de la cave à manger Le Petit Nicoli, dans le 10èmeet professionnel avisé, nous ouvre son palais sur ce produit : “Je suis assez partagé… Je préfère lorsque la macération n’a pas été trop poussée, ce qui permet de garder un peu d’acidité. Trop de tanins réduit l’acidité de ces vins et cela peut vite devenir lourdingue”. Notre récente dégustation n’a fait que confirmer le propos de notre dégustateur. Comme sur les autres couleurs du vin, il y a les plus légers et les plus puissants. Ce qui n’empêche pas d’avoir un entre deux, agréable en bouche avec une bonne acidité : “Certains vignerons font des assemblages entre jus macérés (vin orange) et non macérés (vin blanc) pour des résultats très intéressants” précise Stéphane, qui propose depuis longtemps des vins oranges pour ses clients. Et lorsqu’on lui demande ce qu’en pense sa clientèle, “aiment-ils cela ?”, la réponse n’est pas surprenante : “ A la  cave, je suis 100% nature (il ne propose que du vin naturel). Du coup, mes clients sont des connaisseurs et sont habitués aux vins oranges, ils rentrent chez moi avec cette demande”. C’est donc loin d’être, sur ce segment d’amateurs qualifiés, une mode de bobo mais plus une demande d’habitués, aussi bien aux saveurs qu’aux couleurs. Le vin orange rentre donc dans la sphère de dégustation des vins naturels. Non pas qu’il soit réservé à cette niche mais peut-être que des papilles alertées depuis quelques temps par des vins sans intrants permettront une meilleure prise en main de ces vins.

Les différentes couleurs de macération de vins de “macération” – Domaine Gross

Côté production, en Alsace, dans le premier terroir producteur de vins orangesVincent Gross (du domaine éponyme) s’est lui aussi habitué à cette demande et a même créé une véritable gamme uniquement basée sur cette couleur : “En 2019, nous avons consacré 6 hectares pour les vins de macération. J’aime bien le caractère de tous les cépages en macération, les muscat, pinot gris et gewurztraminer s’y prêtent à merveille”. Si beaucoup de vignerons testent une cuvée de macération, lui y consacre une bonne partie de sa récolte. Vincent ne croit pas à une mode mais plus à une demande de plus en plus exigeante de la part de ses clients cavistes : “Je fais du vin orange pour avoir un vin exclusivement sec et exprimant le terroir et la palette aromatique de notre région”. Le vin orange serait-il un vin “plus de terroir” que son cousin le vin blanc ? (Cf article sur les vins de terroir).

Et puis vient forcément, finalement et obligatoirement, l’indémodable potentiel accords-mets vins.. Si chaque couleur peut se vanter d’avoir son admirable lot d’accords magiques, le vin orange offre lui aussi de nouvelles alternatives. Ce sont ces alternatives qui ont conduit Maxime, responsable du domaine de la Mongestine, en Provence verte, à créer une cuvée de macération gourmande dénommée Georgette, à base du cépage typique du coin, le Vermentino : “Je ne trouvais jamais vraiment de plaisir sur de l’aïoli, je trouve que notre cuvée Georgette permet de s’éclater sur cette crème forte en saveur”.

Offrant de nouveaux accords, le vin orange permettra peut-être enfin de balayer les nombreux préjugés sur les mélanges avec le fromage. En France, nous sommes encore très “rouge” avec un fromage mais Valentin du blog la Nouvelle vigne et invité à notre dégustation, a évoqué un formidable accord entre un blanc de courte macération et un reblochon… A vos marques, prêt, dégustez !

Le blanc de macération est très majoritairement l’apanage de vignerons produisant du vin naturel. La récolte destinée à cet effet, est apparemment plus minutieuse, elle nécessite un “gros travail de tri à la vendange” s’exprime Vincent, du domaine Gross. La vinification, quant à elle, demande plus de temps et d’investissement avec les longues macérations. Pas étonnant que le prix des bouteilles de vin orange soit donc plus élevé.

La rédaction passe à la dégustation !

“Je n’ai eu que deux occasions d’en boire, ce fut une belle découverte” – Un autre Valentin, du blog Winepoetry

Quoi de mieux qu’une petite dégustation pour en découvrir davantage sur les vins oranges ? Organisée le Jeudi 19 Décembre à 20h30 aux caves du Panthéon (célèbre cave à vins spécialisée dans le vin naturel), nous avions réuni une équipe d’une dizaine de dégustateurs hors-pairs. Blogueurs, cavistes et autres professionnels du vin, nous étions ensemble stylos et feuilles de dégustation à la main pour appréhender les 10 bouteilles ouvertes et cachées par des chaussettes.

Sans filtres, nos dégustateurs ont pu, pour certains, découvrir, et pour d’autres, se perfectionner. Une sélection de 6 cuvées a été réalisée par Vinscheznous, un caviste en ligne spécialisé dans le vin naturel et qui offre une belle gamme de vin orange. Pour les autres, nous remercions aussi le Domaine Gross, Louis Maurer et la Mongestine pour leur participation. L’ordre des vins s’est établi du plus léger au plus charpenté mais chaque dégustateur pouvait réaliser la dégustation dans l’ordre de son choix.

Si certains furent bouleversés par l’aromatique martienne de quelques cuvées, l’essentiel de nos participants a apprécié les cuvées présentées : “Nez qui me dérange, acide” ou “sirop d’érable, fruits confits” peut-on lire sur les fiches.

Les coups de coeur de la rédac’ : 

  • Willy :

“Sans hésitation le Muscat de Vincent Gross avec 25 jours de macération. Expressif, des arômes purs et typiques du Muscat additionnés aux notes mentholées de la macération furent une excellente découverte. En bouche, une palette aromatique rarement aussi complexe et une longueur phénoménale ! Un délice, un grand vin.”

  • Alexandra :

“L’étrange Orange de Louis Maurer. Décidément les Oranges d’Alsace sortent gagnants de notre dégustation. De beaux arômes “d’orange sanguine”, de rose et de bonbon ! Typique Gewurtz, typique Orange Gewurtz. Je connais un peu Louis, c’est un tout jeune vigneron qui fait un excellent boulot. Hâte d’être dans 10 millésimes.”

  • Romain :

“Rkatsiteli 2017 de Pheasant’s tears, le vin géorgien, un vin semblable à nul autre et surtout mon premier vin géorgien. Issu d’une macération de 6 mois en amphore, sa couleur orange profonde et trouble attire d’emblée l’attention ! Puis, en plongeant le nez dans le verre, on reçoit des arômes de fruits secs, d’abricot, un peu de miel. En bouche, la texture est enveloppante, le vin est dense, équilibré et disparaît avec une amertume très agréable et une pointe de salinité. Le bonus ? Deux jours plus tard, je finis la bouteille avec des boulettes de viandes un peu épicées et une poêlée de légumes à la coriandre. Le vin a perdu son amertume, une sucrosité ressort, il montre un visage très différent mais parfaitement adapté au plat !”

  • Hélène

“Comme Willy, j’ai été en-chan-tée par le Muscat Mittelweg de Vincent Gross, d’une fraîcheur et d’une intensité aromatique envoûtantes ! Je tiens cependant à dire quelques bons mots sur le Dolia de Philippe Viret, en rhône sud. Cet assemblage de 5 beaux cépages aromatiques s’ouvre sur un nez marqué par des notes fermentaires, des pointes végétales, herbacées, des effluves fumées, un nez complexe mais qui a grand besoin d’air. En le dégustant de nouveau après quasi une heure, la bouche s’est bien ouverte laissant place aux épices douces, raisin sec et notes d’oranges amères emmenées par une admirable tension. Un vin d’une énergie surprenante.”

Voici la liste des cuvées dégustées :

1 : Alsace – Julien Meyer – Pinot Gris (courte macération)

2 : Loire – Domaine de la petite soeur – Adrien de Mello – Les Gats 2017 (Sauvignon de 28 jours de macération)

3 : Alsace – Jean Pierre Rietsch – Demoiselle Gewurztraminer (9 jours de macération)

4 : Loire – La Grange aux Belles – I’ve Got The Blouge (Chardonnay et Chenin avec une macération courte)

5 : Alsace – Domaine Gross – Macération de Muscat (25 jours de macération)

6 :  Provence – La Mongestine – cuvée Georgette macération courte de Vermentino (ou Rolle 10 jours et ramassés à la main)

7 : Alsace – Louis Maurer – L’étrange Orange (Gewurztraminer de 14 jours de macération)

8 : Alsace – Domaine Gross – Macération de Gewurztraminer (25 jours de macération)

9 : Rhône sud – Philippe Viret – Dolia ( 30% Muscat petit grain – 20 % Bourboulenc – 20% Clairette rose – 25% Roussanne & 5% Grenache blanc / 6 mois de macération)

10 : Georgie – Pheasant’s Tears – Rkatsiteli (macération longue) de Géorgie.

Les cuvées dégustées

Après analyse, des notes de dégustation de nos participants, on peut observer un étonnement voire que certaines papilles étaient bouleversées par les nouvelles odeurs peu conventionnelles de nos vins oranges. Il ne serait pas un peu étrange notre vin orange ?


Sources : 

France 3 régions – La Géorgie, berceau de la viticulture

Le Pont Caucasien – Histoire des vins Géorgiens

Slate – Vin Géorgie

Le Figaro – Nouvel age d’or du vignoble Géorgien

Vins du monde – La Géorgie, le passé et le futur

La RVF – Vin Géorgie, méthode ancestrale

Interview Vincent Gross, domaine Gross.

Interview Adrien de Mello, Domaine de la petite sœur.

Interview Maxime Gamart, Domaine de la Mongestine.

Interview Valentins des blogs Winepoetry et la nouvelle Vigne.

Interview Stéphane, gérant du “Petit Nicoli”, Paris 10ème.

Rédacteurs : Hélène Savoye & Romain Genty – Willy Kiezer & Alexandra Guichard

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