Ça (re)pousse dans le vignoble d’Ile-de-France ! Phénomène tout d’abord impulsé par quelques associations et collectivités pour ressusciter la tradition des vignobles franciliens. À leur apogée au XVIIIe siècle, les vignes ont petit à petit disparu (voir notre article sur le passé du vignoble parisien).
Les vignes du Vignoble d’Ile-de-France : quelles sont-elles ?
L’Ile-de-France s’étend sur 12 012,3 km², soit 2,2 % du territoire métropolitain*. Elle regroupe 8 départements que sont Paris (75), les Hauts-de-Seine (92), l’Essonne (91), la Seine-Saint-Denis (93), le Val de Marne (94), le Val d’Oise (95), les Yvelines (78) et la Seine-et-Marne (77), une configuration qui existe depuis 1961. Auparavant, durant le Moyen-Âge, la Renaissance et jusqu’à la fin du règne Napoléonien (III), la population se concentrait principalement au cœur de Paris, avec une intégration progressive des villages alentour. C’est la révolution industrielle et la recherche de main d’œuvre qui ont fait grossir les villes de France, notamment la capitale. La région Ile-de-France a toujours été une région très agricole, et viticole !
En 1933, quelques personnes, soucieuses de protéger un terrain de l’urbanisation, plantent et font renaître les vignes du Clos Montmartre. S’en suivent les vignes de Suresnes sur les pentes du Mont Valérien.
Plus de soixante-dix communes produisent du vin aujourd’hui dans la région parisienne, comprenant plus de cent cinquante vignobles en Ile-de-France.
Les Hauts-de-Seine (92) et leurs 11 500 bouteilles sont le département avec la plus grosse production, quant au Val d’Oise (95), il occupe la deuxième place avec près de 4 500 bouteilles. C’est à Suresnes, avec le Clos du Pas Saint-Maurice qui, en 1965 initie la reconquête du vignoble francilien, que l’on trouvait la plus grande parcelle de vignes, avec 1 hectare ! Aujourd’hui on compte onze parcelles de vignes parisiennes. Les quatre principales en termes de surface, gérées par la municipalité de Paris, sont celles du parc Georges Brassens (0,12 ha), du parc de Belleville (0,025 ha), du parc de Bercy (0,07 ha), et celles de Montmartre (0,002 ha). D’autres pieds de vignes sont disséminés ça et là dans Paris comme les vignes de Paris-Bagatelle dans le 16ème arrondissement, seule exploitation viticole privée de Paris, les vignes des Buttes-Bergeyre, des Jardins des Plantes, du Clos de Reuilly…
Quatre cépages forment la grande majorité des plantations : le Chardonnay 40%, le Pinot Noir 20%, le Sauvignon 9% et le Sémillon 7%.
Le vignoble d’Ile-de-France : un terroir pour avoir des vignes de qualité ?
La situation géographico-climatique du vignoble francilien est idéale. Le vignoble est installé sur un sol datant de l’ère Tertiaire, composé de calcaires, de gypse et de nombreuses roches sédimentaires à base de carbonate de calcium. C’est un climat frais, continental à fortes influences maritimes qui viennent réchauffer les rudes hivers et printemps. Comme un bon nombre de régions viticoles de qualité, l’Ile-de-France est traversée par plusieurs cours d’eau, en bordure desquels on trouve des pentes orientées sud. Cela crée des microclimats propices à la culture de la vigne, surtout à cette latitude. Paris (48,9) à la même latitude que Reims (49.25) et quasiment Nantes (47.2) ! Les températures (min et max) sont identiques à ces deux villes, voire même supérieures à Paris, l’ensoleillement également. Quant aux précipitations, elles sont supérieurs à Reims et quasiment identiques avec celles de Nantes*.
Le réchauffement climatique est favorable au développement du vignoble d’Ile de France, où les 4 saisons bien marquées permettent aujourd’hui d’obtenir des raisins mûrs.
Les vignobles importants de la région se situent sur les communes de Rosny-sous-Bois (93), Sannois (95), Villepinte (93), Argenteuil (95) et Bussy Saint-Georges (77).
Au cœur des domaines franciliens
Pour en savoir plus, rien de tel que de laisser s’exprimer les domaines sur leurs terroirs franciliens. Nous sommes parties à la rencontre de leurs philosophies et leurs visions de l’avenir de la viticulture en Ile-de-France !
Domaine de Montguichet
Pierric Petit décide de créer en 2019 ce domaine périurbain, situé sur la commune de Chelles (77). Une commune accessible en RER et à moins d’1h en voiture de la Tour Eiffel ! Cet ancien menuisier, animé par l’artisanat, a souhaité mettre la main de l’homme au service du vin, en créant un domaine à vocation pédagogique. Amener la vigne en ville était, pour lui et sa femme, une façon de susciter de l’intérêt chez les citadins. Ils souhaitent créer l’étonnement de voir de la vigne s’épanouir dans un environnement urbain !
Les 6 hectares du domaine de Montguichet ont été choisis parmi les surfaces disponibles en friches en Ile-de-France. Pierric nous informe que déjà l’Atlas de Trudaine (1745-1780) rapportait que des vignes étaient présentes à cet endroit. Elles appartenaient à l’abbaye de Chelles, soit les Côteaux de Montguichet.
Pierric, qui conduit la vigne en agriculture biologique depuis le commencement, tient à préserver et à réintroduire la biodiversité :
“Nous travaillons en agro et vitiforesterie, nous avons planté des haies ainsi que 350 arbustes parmi les rangs”. Au milieu de ces pratiques vertueuses, s’épanouissent des cépages blancs et rouges tels que le Chardonnay, le Morillon, le Fromenteau (l’autre nom du Pinot Gris), le Savagnin et un hectare de Syrah vient d’être planté. D’autres cépages en vue ? Bien sûr ! Pierric a pour projet de complanter 0,30 ha en Riesling, Chenin et Aligoté en foule directement au milieu des arbres fruitiers !
Proches géographiquement du début de l’aire d’appellation de la Champagne, les vignes de Montguichet sont implantées sur des sols similaires. On retrouve des marnes-calcaires ainsi que des sols limono-argileux avec des sables. Plantées parfois sur des pentes de 18 à 20%, les vignes créent leur système racinaire sur 20-40cm de sols. Elles plongent ensuite directement dans la roche calcaire ! Des sols qui confèrent une belle minéralité aux vins. D’ailleurs, pour la vinification, Pierric Petit s’est doté d’un chai moderne, enterré, bien équipé. Il lui permet d’entreposer notamment une soixantaine de fûts (anciens et bourguignons, précise-t-il). En fonction des matières et des millésimes, sa vinification est évolutive. Son 1er millésime étant 2021, il aura un meilleur recul d’ici 6/7 ans sur ses vignes et la définition de ses vins.
Ces derniers sont élaborés en levures indigènes, le soufre est utilisé avec parcimonie et le plus tard possible dans le procédé. Deux cuvées entièrement en nature ont été créées à hauteur de 2000 bouteilles de chaque afin de gagner en expérience et en précision dans les pratiques.
Lorsque que l’on demande à Pierric Petit quel avenir voit-il pour le vignoble d’Ile-de-France, ce membre du Mouvement des Vignerons Franciliens indique que l’essor du vignoble du bassin parisien va prendre de l’ampleur prochainement, que de nombreux modèles vont émerger et qu’assister à la création d’une nouvelle région viticole est galvanisant, car cela va créer des vocations ! Cependant, le mouvement peut être fait d’opportunisme et le modèle artisanal que défend Pierric est fragile. Le risque de voir un savoir-faire et une qualité s’amoindrir face à l’émergence d’exploitations de très grandes tailles est prévisible. Le maintien de la qualité étant primordial, c’est en créant des groupements de domaines qui s’allient et défendent une philosophie plus artisanale que l’on y parviendra, affirme Pierric.
La production des 30 000 bouteilles annuelles du Domaine de Montguichet s’écoule en grande majorité localement, à 35% grâce à la clientèle de passage, aux animations et événements mensuels créés par le domaine ainsi qu’en réseau CHR avec de jolies tables bistronomiques et cavistes indépendants franciliens ! Pierric m’indique que l’export est anecdotique, et les pays qui promeuvent ses vins ont une véritable connaissance et attrait pour la gastronomie (comme le Japon).
Je demande à Pierric s’il peut nous dire un mot de ses étiquettes ? “C’est mon ami Philibert Satto qui a créé ces cercles colorés, concentriques dont la couleur change en fonction de la cuvée; ils représentent le grain de raisin et l’image des énergies que nous essayons de créer avec le domaine !”.
Non loin de là, à 45 minutes à l’est, c’est Tristan Kiszel qui nous présente le domaine familial du Bois Brillant !
Domaine du Bois Brillant
Daniel Kiszel est une figure emblématique du vignoble d’Ile-de-France car pionnier dans les vinifications sur ces terroirs ! C’est son fils Tristan qui nous indique que c’est en 2003 que son père, chef d’entreprise dans les espaces verts, cultivait une vigne patrimoniale d’une centaine de pieds et dont il en tirait du vin pour une consommation personnelle, puisqu’une vigne ayant le statut de vigne patrimoniale interdit la commercialisation de ses vins.
Situé dans le hameau de Charnoy à Guérard (77), le domaine s’est peu à peu structuré en augmentant sa surface de 1 000 pieds supplémentaires, puis à nouveau 1 000 autres pieds afin de permettre la commercialisation des vins. Aujourd’hui père et fils travaillent sur 1,5 hectare et produisent 1 800 bouteilles.
Ce sont des sols argilo-calcaires, très calcaires, qui composent leur terroir, très chargés en marnes supragypseuses (ou bloc de tuffeau si vous préférez). Des propriétés que l’on retrouve dans la Côte des Blancs champenoise, dans le Saumurois et même à Chablis !
Les Kiszel ont planté les deux-tiers de leur surface en Chardonnay; ils ont également planté du Pinot Noir, du Pinot Gris, cépage historique, ainsi que des cépages résistants comme le Floréal. Ce qu’ils aimeraient planter à l’avenir ? Tristan évoque avec délectation le Pineau d’Aunis !
Le domaine est conduit en bio et les manipulations se font en fonction du calendrier lunaire. Vous ne trouverez pas d’engins chez les Kiszel, les travaux au cheval sont privilégiés comme l’harmonie avec le monde animal. Vous pourrez rencontrer les tondeuses naturelles que sont leurs moutons et leurs chèvres qui défrichent les futures parcelles, ainsi que bon nombre d’abeilles. Car oui, le domaine possède des ruches ! Notons qu’en 2015, Daniel Kiszel a même fondé la Maison de la Vigne et du Vin à Guérard.
A la cave, le travail est nature, en levures indigènes avec une logique peu interventionniste. Les vins blancs issus des vieilles vignes passent 9 mois d’élevage en fût de 3 à 5 vins. C’est quasiment 18 mois pour les rouges. Pour les vins frais et fruités la cuve est privilégiée. Le domaine possède également des amphores de grès de 320L pour ses vins aux élevages plus longs ! Tristan et Daniel ne sont pas fermés à l’achat de raisins en fonction de ce qui leur est proposé.
@domaineduboisbrillant
Pour se développer et faire parler du vignoble d’Ile-de-France, le Domaine du Bois Brillant a eu la formidable idée de proposer une location de pieds de vignes de ses parcelles. Soit un mécénat avec votre propre vin à la clé tout de même ! En plus des visites pédagogiques et des ateliers de dégustation organisés au domaine.
Le domaine écoule sa petite production localement, aux premiers clients fidèles, à la clientèle de passage. Daniel s’est construit un réseau incluant des cavistes, hôtels et restaurants, tant franciliens que nationaux. A l’avenir, ils souhaitent développer l’œnotourisme. À l’instar de ce que nous confiait Pierric Petit du Domaine de Montguichet, Daniel et Tristan veulent promouvoir une viticulture artisanale et montrer au grand public que les vins d’Ile-de-France ont un très bel avenir devant eux !
Tristan nous précise qu’il existe 74 cépages autorisés dans le cahier des charges de l’IGP (créée en 2020). Aussi, les cépages résistants pourront certainement y entrer prochainement. Il y a donc de quoi découvrir des expressions très différentes de ce terroir (re)naissant !
La dégustation Ni Bu Ni Connu du Vignoble d’Île-de-France d’aujourd’hui
Rien de tel que de déguster des vins encore méconnus pour se faire une idée ! Dans l’ordre de dégustation, nous avons pu goûter :
Le Grand Lever, 2022 – La Bouche du Roi à Davron (78)
100% Chenin élevé en fûts de chêne de 300 L à 400 L durant 7 mois.
Un blanc frais, léger aux notes de fruits à noyau et pointes de fleurs blanches. Une bouche plutôt fine et resserrée malgré le millésime solaire. L’empreinte du bois ne se fait quasiment pas sentir pour une structure globale très digeste.
Prix : 25€ chez les cavistes
Le Chardonnay Insoupçonné, 2022 – Domaine du Bois Brillant, à Guérard (77)
57% Chardonnay 40% Viognier et 3% Fromenteau (Pinot Gris) en cuve inox.
Un blanc aromatique, salivant, aux notes d’agrumes, de pointes légérement exotiques, aux accents minérals. La bouche confirme ces impressions avec une belle amplitude, une matière riche sans être lourde ! La longueur significative entraîne le palais sur l’accord à table !
Les Marnes Blanches, 2022 – Domaine de Montguichet, à Chelles (77)
100% Savagnin élevés en anciens fût bourguignons.
Cépage jurassien vient donner de l’originalité à la gamme du domaine ! Bravo pour ce choix car les palais sont entraînés dans un tourbillon d’arômes. Les saveurs de fruits jaunes, fruits secs, aux notes miellées et épicées virevoltent. Très belle longueur portée par les sols calcaires qui nous électrisent les papilles !
Le Cabernet Franc, 2021 – Domaine du Bois Brillant, à Guérard (77)
C’est un panier de fruits rouges qui se dégage du bouquet du premier nez. Impossible de se tromper, nous sommes en présence d’un frais et fringant Cabernet Franc ! Il reflète son millésime, frais et peu ensoleillé. La bouche est tendue, verticale et nerveuse, un joli jus arrive en milieu de bouche et vient attendrir le palais. La finale laisse place à des notes végétales et une longueur expressive. A attendre quelques années pour un déploiement plus velouté. Le temps est un allié du Cabernet Franc et pas qu’en Ile-de-France !
*Source :
Mémoire Vin de Paris : Bien plus qu’une lubie entrepreno-hipster ! (Antoine Sfeir, Luca Pronzato)
Co-écrit par Hélène Savoye et Marion Château
Il n'y a aucun commentaire.