Quel avenir pour l’ancien plus grand vignoble de France ? Aujourd’hui regroupés au sein du Syndicat des Vins d’Île-de-France (SYVIF), c’est depuis janvier 1999 que des passionnés du vin, de la vigne et de cette tradition française ont décidé de travailler à la renaissance de la viticulture professionnelle francilienne. Pour mieux comprendre ce mouvement, j’ai également eu un échange passionnant avec l’un de ses représentants, Antoine Sfeir du Domaine le Pif A Papa.
Un mouvement qui se construit
La libération des droits de plantation actée par l’Union Européenne en 2016 signe le point de départ de la renaissance du vignoble d’Île-de-France. Avant, la région était considérée comme une zone non-viticole, sans droit de plantation avec l’interdiction de commercialiser du vin (sauf exception des 5’000 bouteilles de l’Association du Clos du Pas Saint-Maurice qui gère les vignes de Suresnes). Il existe plusieurs acteurs qui produisent des vins en Île-de-France dont les producteurs de « vignobles patrimoniaux » qui ont replanté au début du 20ème siècle. Leur production est limitée et le vin à l’obligation d’être vendu dans le cadre de ventes caritatives ou de bienfaisance. La majorité des producteurs représente des micro-vignobles communaux ou alors proviennent d’initiatives confidentielles d’associations ou de confréries (vignes de Montmartre, vignoble de Suresnes…). Ils n’ont pas vocation à structurer le vignoble francilien mais plutôt à faire de la pédagogie et à être une vitrine de cette tradition viticole au sein des villes. Il existe 11 vignobles dans Paris intra-muros mais c’est en région parisienne que le mouvement commence à prendre de l’ampleur depuis quelques années.
L’évolution de la réglementation permet le développement des « vignobles commerciaux », qui permet au secteur d’avoir de plus fortes ambitions. On constate en effet une augmentation des superficies de vignes et les politiques urbaines, tournées vers la végétalisation, voire le retour de l’agriculture dans le paysage urbain, amplifient ce phénomène. Sur le site de la Mairie de Paris, on dénombre près de trente hectares d’espaces dédiés à l’agriculture urbaine.
Ce mouvement de structuration du vignoble d’Île-de-France est principalement porté par des anciens céréaliers ou des collectifs qui mutualisent leurs actions pour se lancer. Il existe à l’heure actuelle une cinquantaine d’acteurs qui détiennent entre 120 et 150 hectares. Des chiffres qui augmentent tous les ans face aux opportunités qu’offrent ce vignoble. Pour l’instant, les acteurs qui se lancent plantent là où ils se trouvent et ont leurs terres. Ils privilégient la plantation en coteaux, sur des sols pauvres, là où la vigne se plaira le mieux. Rien n’a été fait au hasard, ils ont tous été accompagnés pour planter les cépages qui se développeront bien sur leurs sols afin de proposer des produits de qualité qu’ils pourront valoriser. On peut apercevoir des pôles de production qui se créent naturellement autour de figures qui ont initié le mouvement des vins franciliens : en Seine-et-Marne, à l’est du département autour du domaine Bois Brillant (2ha). Plus proche de Paris, à Chelles se trouve Les Coteaux du Montguichet (6ha) et au sud du département, en dessous de Fontainebleau, le Clos de Nonville (7ha). Dans les Yvelines autour du domaine La Bouche du Roi (26ha) et de la Winerie Parisienne (3ha). Et enfin, dans le Val d’Oise, au niveau du Vexin, avec le domaine du Pif à Papa (1,5ha).
Malgré le boom médiatique dont ils ont bénéficié, ces acteurs restent encore peu nombreux. Il y a encore de la place pour participer au développement du vignoble aux côtés de ces pionniers !
Le potentiel du vignoble d’Île-de-France
Depuis le début des années 2000, le président du SYVIF, Patrice Bersac, avec l’Association des Vignerons Franciliens Réunis, a travaillé dur pour faire reconnaître officiellement le vignoble d’Île-de-France. C’est en 2020 que le Vins IGP Île-de-France et son cahier des charges sont reconnus par l’INAO. La certification complète a été homologuée en 2023 avec cinq dénominations géographiques complémentaires : Paris, Suresnes, Provins, Blunay et Guérard.
Petit à petit l’offre se structure, quant à la demande, Paris regorge d’opportunités, puisqu’elle est la ville au plus important nombre de cavistes au monde ! On dénombre 681 caves à vins (source Apur, 2023). C’est la ville où l’on boit le plus de vin au monde avec 709 millions de bouteilles consommées par an (source OpinionWay, 2018). Sachant que la région Île-de-France concentre quasiment 20% de la population française et que les parisiens ont le plus gros pouvoir d’achat de France – en moyenne, les franciliens ont un salaire de 3’218€ net par mois vs 2’524€ net pour le reste de la France (source Insee, 2021) – cela promet de belles perspectives pour la diffusion des vins d’Île-de-France.
Dans un monde globalisé et une ville toujours en quête de nouveauté, les franciliens sont déjà habitués à consommer une grande diversité de vins. Ils peuvent donc se montrer plus ouverts à découvrir une nouvelle région viticole.
De plus, on constate la volonté grandissante des Français à consommer local. En 2023, près de la moitié des Français estimait qu’acheter des produits locaux, de saison ainsi que privilégier les circuits courts étaient les engagements les plus importants concernant leur consommation alimentaire (LSA). La tendance des chais urbains pourrait suivre celle des micro brasseries (environ 2’500 en France dont 136 en Île-de-France). La nuance à apporter à cette tendance serait que la bière peut être fabriquée à n’importe quel moment, avec un matériel plus restreint que celui nécessaire au développement d’un vignoble.
Quand j’évoque l’idée du changement de la carte viticole française à Antoine Sfeir, il me répond qu’il n’y aura pas de grande révolution des vignobles du Nord de la France par rapport aux vignobles du Sud. Le développement des vignobles du Nord se fera pour des raisons économiques plus que climatiques. Ils seront de plus en plus nombreux s’ils réussissent à bien valoriser leurs bouteilles. Et les vignobles du sud continueront à produire du vin en changeant leurs méthodes de production (modification porte-greffe, cépages, orientation de la vigne…). “Il y a de gros enjeux sociaux derrière ça, un vigneron de Narbonne n’ira jamais faire du vin à Paris” poursuit Antoine. Pour lui, ce sera plutôt des locaux qui planteront de la vigne en Île-de-France. Il est à noter que les structures comme les Chambres d’Agricultures commencent à promouvoir de plus en plus la viticulture francilienne. Cela permettra peut-être de faciliter l’accès aux terres aux personnes intéressées.
La diversité des sols et des climats peuvent même laisser penser que plusieurs AOC seraient envisageables (il peut y avoir 1 degré de différence entre les départements opposés). Avant d’en arriver à ce stade, l’IGP leur permet de faire connaître une identité territoriale. Il est nécessaire aux domaines les plus récents de prendre le temps de l’expérience et d’avoir le recul sur la qualité des cuvées proposées. Pour l’instant, les acteurs sont en phase de test et font du mieux qu’ils peuvent chacun de leur côté. La prochaine étape sera de s’aligner ensemble sur la trame qualitative du vin afin que le public ait une première approche du vin d’Île-de-France positive.
Antoine pense que leurs vins auront toute leur place dans des caves, épiceries fines et restaurants qui sont friands de démarches locales. Des circuits de distribution mélangeant tous les produits d’Île-de-France tels que des AMAP seraient cohérents. Il croit également énormément au potentiel oenotouristique des chais urbains. Les gens veulent vivre des expériences et la population parisienne et touristique étant conséquente, les activités pédagogiques de dégustation ou d’ateliers aux chais ou aux domaines seraient également une façon intéressante de faire connaître ou vendre leurs vins. En transformant ces endroits en lieux de vie, les néo-vignerons franciliens pourraient attirer un public qui n’aurait pas visité les alentours pour le vin en premier lieu.
Les limites du développement du vignoble d’Île-de-France
La loi sur les autorisations de plantations étant très récente, l’obtention de licences dans des régions n’étant pas considérées comme viticoles reste difficile. Il est notamment compliqué de trouver des terres lorsque l’on n’est pas issu du milieu agricole. Comme Antoine et son père, ces nouveaux acteurs doivent d’abord passer par de multiples organismes et limites administratives pour pouvoir accéder à des terres propices aux vignes. C’est pourquoi, avant d’avoir leurs propres vignes dans le Vexin, ils ont rejoint un GFA avec Daniel Kizsle pour partager 7 hectares de vignes en Seine-et-Marne.
Au-delà des limites administratives (bienvenue en France !), le vignoble francilien doit toujours faire face à la forte urbanisation et les concurrences foncières associées. Les futurs vignerons d’Île-de-France seront probablement plus à proximité de la ville que dans la ville. On parlera donc davantage de vignobles péri-urbains que de vignobles urbains.
Un gros travail de partage d’expériences entre pionniers reste à faire afin de définir la trajectoire qualitative de ce vignoble. Pour concurrencer les autres régions viticoles bien établies et connues par les acheteurs, les vins franciliens doivent se démarquer et prouver leur propre typicité. Une qualité qui devra justifier les prix plutôt élevés des bouteilles. D’autant plus que le critère d’achat d’un consommateur est toujours le prix avant le goût.
Une fois, leurs identités plurielles fixées et comprises par les consommateurs, il ne restera plus qu’à trouver des personnes passionnées qui auront l’élan de se lancer dans la viticulture qui peut se montrer parfois plus complexe que d’autres cultures.
Dégustation des vins du domaine du Pif a Papa
J’ai retrouvé Antoine à leur chai de Courbevoie qui, ouvert sur la salle de dégustation et sur un espace détente, nous fait sentir comme chez soi. Cette atmosphère agréable à un petit goût de reviens-y, tout comme leurs vins d’ailleurs !
J’ai eu l’occasion de déguster plusieurs de leurs cuvées issues de leurs vignes d’Île-de-France en cours de fermentation et, spoiler alert… Il y a du niveau ! Leur domaine, en agriculture biologique, se trouve dans le village du Heaulme, aux Buttes de Rosne, au point naturel culminant de l’Île-de-France dans le Vexin, côté Val d’Oise (95) à 216m.
Durant cette dégustation, nous avons goûté un savagnin bluffant avec une trame persistante et une aromatique qui n’a rien à envier aux vins du Jura. Les sauvignon et chardonnay étaient frais et élégants. Mais la pépite de cette dégustation reste le pinot noir, élevé en fût qui, dès le premier nez nous plonge dans un bain de fruits rouges. En bouche le jus est parfait, la couleur est moins dense qu’en Bourgogne mais toute aussi prometteuse !
Après cette série d’article et notre entretien avec Antoine, cette dégustation aura fini de me convaincre du potentiel énorme des vignes d’Île-de-France. A vos verres, le mouvement ne fait que commencer !
Co-écrit par Marion Château et Hélène Savoye
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