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Retour de visite à la Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin sans manger mie boire goutte !

Par Bastien Pessey | 6 octobre 2022 | Reportages | 0 commentaire

Inaugurée en grande pompe en mai 2022, la Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin a fait parler d’elle bien avant son installation à Dijon. En effet, le développement du projet n’a pas été exempt de polémiques ni d’intrigues politiques, qu’il ne s’agit guère de rappeler ici. Toutefois, les attentes vis-à-vis du résultat ne pouvaient qu’être importantes, en Côte-d’Or comme ailleurs, compte tenu des péripéties qui ont rythmé sa construction : citons notamment le coût astronomique de cette Cité à la hauteur des ambitions du Conseil municipal de Dijon, les tensions autour du financement du projet et l’arbitrage rendu au sommet de l’Etat pour installer l’OIV à Dijon et non plus à Bordeaux, qui s’est sentie flouée après s’être fortement mobilisée pour l’accueillir sur son territoire.     

« Joyeux enfant de la Bourgogne, je suis fier d’être bourguignon”, comme dit la chanson populaire. J’ai donc eu pour ma part l’occasion de visiter en famille la Cité Internationale de la Gastronomie du Vin à Dijon, le 21 août 2022, à la faveur des festivités de l’été qui animaient l’agenda bien rempli de cette institution dont le rodage était bien amorcé, après plusieurs mois de fonctionnement. Ce jour-là, au menu, outre les installations et expositions permanentes, une grande chasse au trésor était organisée pour découvrir, carte en main, l’ensemble de l’écoquartier qui abrite la Cité, sur le site de l’ancien hôpital général,dont on retrouve certains édifices historiques. 

Il faut saluer ici la gratuité de plusieurs espaces et animations qui permettent de découvrir de façon ludique les différents bâtiments, les espaces d’exposition dont plusieurs sont en accès libre, le village gastronomique, le cinéma et les nombreux commerces… L’ensemble constitue véritablement un quartier à part entière mais on regrette le manque de verdure, mais les arbres ont sans doute encore besoin de pousser…

1750m² d’exposition pour décrire les milles facettes du « bien manger » et du « bien boire » à la française.

Allons ! Ne nous laissons pas intimider par la minéralité et la froideur de ces bâtiments modernes et climatisés, tout en vitres et en géométrie, et jouons le jeu ! Petits curieux et grands gourmands suivent la carte pour découvrir les secrets de la gastronomie française, ses produits emblématiques, son savoir-faire, ses traditions et ses métiers… Assez vite, en partant à la recherche du trésor caché et en déambulant dans les rues autour des boutiques, on se rend rapidement compte que c’est surtout après notre pactole qu’on en a. J’ai été frappé par l’importance accordée aux activités mercantiles par rapport aux activités culturelles. Certes, nous avons salué les efforts pour garantir la gratuité et l’accès libre à un certain contenu culturel, et tout musée est aujourd’hui doté d’une boutique, le plus souvent d’une librairie… Cependant, à la Cité, on a vite fait le tour de l’itinéraire gratuit, pour être ensuite confronté aux nombreux commerces de bouche et boutiques d’artisanat dont les produits affichent un luxe aussi ostentatoire que les bâtiments. Côté livres, c’est La Librairie Gourmande, établie à Paris depuis 1985, qui assume les fonctions de librairie spécialisée au sein de la Cité et renferme quelques pépites, mais fait surtout la part belle aux dernières publications culinaires à la mode ou aux cartes géographiques et ampélographiques aussi décoratives qu’onéreuses. Mais au moins, grâce à la loi relative au prix du livre, vous avez la garantie de payer un prix identique pour la même référence sur tout le territoire national, contrairement aux produits alimentaires pour lesquels la marge bénéficiaire pique comme la moutarde.  

L’accès à la Cité est donc libre sept jours sur sept et gratuit si l’on veut simplement se promener en curieux dans les allées du Village gastronomique, mais ce dernier vise clairement votre bourse et s’adresse visiblement aux CSP+. En effet, le “Village gastronomique” est une vaste boutique qui ne dit pas son nom !

“Les 5 sens en action, apprêtez-vous à vivre une expérience gastronomique et culturelle unique !” annonce la Cité. Les 5 sens, certes, mais surtout le porte-monnaie en action !

Les commerces de bouche, les boutiques du Village gastronomique, la Cave et les restaurants du groupe Epicure vous ouvrent certes grand leurs portes mais il faudra vous acquitter d’une addition salée. Si la visite de la Cité n’est qu’une étape parmi d’autres dans les vignobles ou les villages de la route des Grands Crus à la faveur d’un séjour en Côte-d’Or, le budget vacances risque de se voir grevé par une visite de la Cité qui comprendrait dégustation, restauration sur place, achats de souvenirs ou de provisions…

Comme nous l’avons évoqué, il faut rendre justice aux initiatives et aux évènements gratuits qui ont été organisés cet été, à l’occasion des journées du patrimoine par exemple. Néanmoins, ce type d’évènements gratuits restent circonscrits dans un agenda très exceptionnel, et encore une fois, pour ce qui est de la restauration sur place mais surtout de l’accès à la dégustation des vins, qui constitue l’un des principaux intérêts de la visite de la Cité, il faut compter un budget conséquent qui n’est pas à la portée de toutes les familles. La Cité se félicite d’héberger huit boutiques dédiées à l’artisanat français (café, pâtisserie, chocolat, fromages, boucherie, charcuterie, moutarde, art de la table…), les restaurants et la Cave. Mais cette offre s’adresse-t-elle à tous les visiteurs, comme on aurait pu l’espérer, afin de profiter pleinement de l’expérience immersive promise par la Cité ?

Aïl, oignon et échalote sont présentés comme des produits de luxe.

Par ailleurs, dans le contexte actuel marqué par les conséquences de l’inflation et de la crise énergétique, et l’injonction de l’Etat à la sobriété, il y a un rien d’indécence à voir le village gastronomique présenter des étals débordant de produits frais ou de conserverie, d’épicerie de luxe et de pots de moutarde dont on déplore la pénurie. Cette abondance et les tarifs pratiqués semblent d’autant plus embarrassants tandis que la plupart des ménages doivent réduire leurs dépenses énergétiques et alimentaires.

Quand les pots de cornichons et les confitures deviennent des produits d’exception… On pense aux personnages d’Emile Zola ou au vagabond de Jacques Prévert qui regardent avec envie et impuissance les vitrines des magasins… Dérives de la gentrification et de globalisation du marché : on retrouve dans ces boutiques de la Cité dijonnaise bien des marques que l’on recense dans les épiceries tendance parisienne.

Pourtant, la gastronomie et le vin, n’est-ce pas le partage ? La convivialité ? La générosité ? Autant de valeurs que la froideur intimidante et l’offre élitiste de ces boutiques et restaurants semblent mettre à distance, comme elles tiennent à distance le chaland. 

La même semaine, nous avons pu voir les rayons de Carrefour Dijon Toison d’or privés d’huile et de moutarde, tandis que la village abrite un “Manège à moutarde” bien achalandé. Mais les prix pratiqués ne sont-ils pas quelque peu dissuasifs ?

La Cave, machine à sous digne d’un casino

La Cité veut évidemment célébrer le vin, et c’est à la Cave de la Cité que le visiteur s’attend à rencontrer le point d’orgue de sa visite. La Cave de la Cité, au cœur de la Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin de Dijon, propose donc, avec une générosité et une abondance revendiquée, “3 000 références de vins du monde entier, parmi lesquelles 250 sont servis au verre, dont des grands crus, pour une dégustation personnalisée inoubliable”. Naïvement, je m’attendais que la dernière étape de la visite des espaces muséaux m’amène à déguster plusieurs crus au sein de la cave, que cette offre soit gratuite ou comprise dans le prix d’un billet de visiteur, comme c’est le cas à la Cité du Vin à Bordeaux où le billet inclut un verre de dégustation du vin de son choix. Une expérience de découverte des vins de Bourgogne me semblait indissociable de la connaissance de la gastronomie française. 

Or, quelle ne fut pas ma déception lorsque j’ai constaté que cette dégustation est exclusivement payante ! Mais c’est avec effroi que j’ai découvert le dispositif de dégustation choisi et la gamme de prix des échantillons ! 

La Cave de la Cité s‘est en effet dotée du système « Enomatic » qui permet certes de conserver dans les meilleures conditions les bouteilles de vin après leur ouverture, mais déshumanise complètement l’expérience de la dégustation en déléguant le service et l’information à des machines. Grâce à ce dispositif technologique breveté unique au monde, les visiteurs de la Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin peuvent s’offrir une dégustation au verre d’un large choix de vins, y compris de grands crus d’exception dans la Cave Premium située dans un magnifique caveau voûté, en achetant auprès de guichetiers des cartes prépayées qu’ils créditent du montant souhaité pour commander en autonomie auprès des machines automates qui servent les échantillons de vin. Lors de ma visite, en fin de journée, trois employés de la cave étaient présents pour vendre ces cartes, expliquer le fonctionnement du dispositif, plaquette et plan à l’appui, et accueillir la vingtaine de visiteurs alors présents. Rien n’impose ici une connaissance du vin pour vendre des cartes prépayées et orienter les dégustateurs vers des caisses automatiques. J’ai pu néanmoins observer l’un des employés échanger avec un visiteur accoudé au bar central et partager quelques informations oenotouristiques. Cependant, j’ai pour ma part renoncé avec découragement à déguster dans ces conditions et j’ai pu déambuler dans la cave sans être inquiété ni sollicité, n’ayant échangé quelques paroles qu’avec d’autres visiteurs circonspects.

Au bas de l’échelle de la gamme de prix, il faut compter 2 euros pour un échantillon, 4 euros pour une dose de dégustation digne de ce nom et 7 euros pour un verre. Il est certain que cela encourage à la consommation modérée d’alcool mais que cela ne permet pas de découvrir beaucoup de cuvées. Rappelons que des crachoirs sont à disposition…

Je n’ai pas manqué de descendre les escaliers pour jeter un coup d’œil au caveau des grands crus, où les bouteilles reposaient dans un silence et une solitude absolue.

Pour déguster ce (jeune) Chevalier Montrachet 2018 du domaine Louis Latour, votre carte est débitée de 34 euros pour un échantillon, de 71,50 euros pour une dose de dégustation et de 125 euros pour un verre. Notez les informations présentées par la machine : Bourgogne, Chardonnay.

Pour être parfaitement complet, il faut signaler qu’il est également possible d’acheter à la Cave la bouteille de votre choix, à emporter ou à déguster sur place avec une offre de petite restauration.

Ainsi, alors que les espaces muséaux tendent à démocratiser la culture et offrent de nombreuses activités gratuites, sans doute rendues possibles par des subventions dédiées à la démocratisation de la culture, on aurait apprécié de voir le même effort au service de l’expérience immersive de dégustation. La gastronomie et le vin sont au cœur de l’offre culturelle de la Cité, et il est regrettable que tant de visiteurs en soient tenus éloignés, faute de moyens. Le dispositif même de la dégustation retenu à la cave qui réduit les intéractions humaines au minimum ne véhicule pas les valeurs de partage, de convivialité et de transmission associées au vin et à l’œnotourisme. Enfin, la conception et le design de l’espace associent une fois encore le vin à une image élitiste et une activité réservée aux initiés qui ont le privilège de pouvoir accéder financièrement et culturellement à ce qui reste présenté ici comme un produit de consommation. Ne pouvait-on pas concevoir la Cité et son village gastronomique comme un espace cosmopolite et vivant, ouvert et accessible à tous ? Ne pouvait-on pas valoriser davantage les produits locaux, les circuits courts, l’agriculture du vivant ? Était-il impossible d’offrir une expérience de dégustation gratuite ou à moindre coût en employant à cet effet les subventions et les investissements dont la Cité a pu bénéficier, dans le but de véritablement démocratiser cette culture gastronomique dont la Cité veut être le pôle international ?

Notre visite de la Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin nous laisse un goût amer, alors que nous n’avons finalement rien bu ni mangé. 

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