Paris et le vin ? Une grande et longue histoire d’amour qui prend ses racines à un temps qu’on ne pouvait pas connaître ! Au tout début, le lieu de plantation des vignes était influencé par la proximité d’une ville et de son marché et non par le climat. C’est pourquoi, on a retrouvé des traces de vignes et des pressoirs en Île-de-France dès le premier siècle après JC. À Paris, la culture de la vigne avait été rendue possible par l’autorisation de l’édit de Probus en 276 à cultiver de la vigne en dehors de l’Italie. Lors de la chute de l’Empire Romain en 476, les vignes d’Île-de-France sont donc déjà bien présentes. À cette période-là, l’empereur romain Julien fera les louanges du vin parisien, qualité notamment conférée par la douceur des hivers qui donnait au vignoble d’Île de France sa qualité.
L’apogée du vignoble d’Île-de-France
C’est durant le Moyen Âge, à partir des années 500, que la culture de la vigne va connaître son essor. Particulièrement grâce à l’Église qui sera le principal producteur du pays et des vins d’Île-de-France. La christianisation de la France donne aux chefs religieux, des pouvoirs politiques et d’influence sur le pays. Le vin, l’un des deux symboles du sacrement chrétien de l’eucharistie, manifeste tout d’abord la générosité et le prestige de l’hôte face à ses visiteurs mais permet également de tirer des revenus afin d’assurer la puissance de son territoire. La culture de la vigne profite des conditions topographiques de la région : outre sa cuvette hydrographique composée de la Seine et de ses affluents, l’Île-de-France offre des pentes et versants de vallées aux sols légers dont un grand nombre sont orientés au sud, permettant l’ensoleillement nécessaire au mûrissement des raisins. À l’époque, deux abbayes sont à la tête des principaux vignobles d’Île-de-France : au nord l’abbaye de Saint-Denis qui couvre toutes les pentes bien exposées (buttes de Montmartre, Belleville, Charonne… ou encore de Cormeilles-en Parisis avec le vignoble d’Argenteuil) et au Sud, l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés qui englobe les vignes de Suresnes.
À cette période, à la recherche de qualité, les vignobles se structurèrent sur les coteaux les plus ensoleillés ainsi que proches de la voie fluviale en raison des échanges avec les marchands du Nord, afin de faciliter le commerce. C’est donc dans les régions du Nord de la France mais également sur les marchés anglais et flamands que les vins d’Île-de-France étaient envoyés. Les transports étant cependant longs et coûteux, la production locale restait favorisée. On privilégia les cépages blancs tels que le savinien, le rochelle, ou la folle blanche, puis plus tard, d’autres comme le pinot noir, le fromenteau (pinot gris), et le chardonnay provenant de Bourgogne. Ces cépages produisirent des crus d’Île-de-France. Le vin s’installe comme une denrée de luxe, vendue au prix fort aux gens de la noblesse et aux bourgeoisies urbaines naissantes.
Au 14ème siècle, l’augmentation de la population parisienne va stimuler la demande mais également l’offre de vin. On va voir apparaître une viticulture populaire avec des cépages plus rustiques qui produisent de plus gros rendements comme le gouais ou le gamay. Le phénomène s’intensifie au 16ème siècle. La monarchie, ayant besoin d’argent, accordera un statut spécifique aux métiers distributeurs de vin comme les marchands de vin, taverniers, cabaretiers et hôteliers de Paris, leur autorisant à vendre du vin sur place sous réserve de rétribuer une taxe à la royauté. A l’époque, la capitale comptait quatre mille tavernes et c’est donc à partir de ce moment-là que la consommation populaire de vin commença. De plus, le détail était taxé plus cher que la vente en gros, par conséquent les acheteurs privilégiaient la quantité à la qualité. C’est à cette période que s’opère la bascule de la consommation de vins blancs, crus qualitatifs aux vins rouges perçus comme plus virils, réparateurs et nourrissants, n’oublions pas que le vin était perçu comme un aliment à l’époque.
Cependant, des règles contraignantes obligèrent les taverniers et cabaretiers à se fournir auprès des ports de vins ainsi que dans un rayon de 88 kilomètres autour de Paris. La commune de Bercy, qui ne fait pas encore partie de Paris, attire les négociants en vin car elle est non soumise aux taxes. La proximité de la Seine permet d’acheminer facilement des barriques par bateau, le vin étant négocié directement sur les berges. Bercy est alors le plus grand marché mondial des vins. Ce commerce hors de Paris avait été établi afin de ne plus concurrencer les crus des bourgeois parisiens. Les nobles, ecclésiastiques et bourgeois purent bien sûr continuer à se fournir à l’intérieur des 88 kilomètres car ils possédaient leurs propres vignes ou pouvaient acheter à prix d’or, les vins extérieurs vendus dans la capitale (de plus en plus rare à cause des droits d’entrée dans Paris élevés et croissants). C’est l’essor des guinguettes et auberges de banlieue où le vin était servi à bas prix et en grande quantité car il n’était pas soumis à l’impôt de Paris. Ce phénomène dura pendant près de deux cents ans jusqu’à l’édit de 1776.
Au 18ème siècle, le vignoble d’Île-de-France, avec ses plus de 50 000 hectares, était à son apogée, c’était alors le plus grand vignoble de France.
Le déclin du vignoble d’Île-de-France
Ces règles imposées marqueront la fin de l’expansion du vignoble d’Île-de-France. Les vignobles situés géographiquement selon leur fiscalité et leurs gros rendements, non pas par leur qualité, commencent à avoir mauvaise réputation. Ce sont ces vins, à base de gamay surnommés Piccolo ou « petit vin », qui créeront le terme péjoratif “picoler”. A Belleville, on vinifiait la Piquette, un vin jeune, pétillant et populaire et le Guinguet, vin blanc aigrelet, qui donnera son nom aux célèbres guinguettes. Pour comparaison, la mauvaise pinte de vin coûtait environ trois sous et demi hors Paris alors que le bon vin se servait à près de quinze sous la pinte dans Paris. Le commerce de vin, rétabli en 1776, permettra à tout le monde de vendre du vin et entérinera la chute de la qualité. Les marchands étaient des intermédiaires dangereux utilisant des pratiques peu recommandables pour augmenter leurs ventes.
Dans un contexte d’amélioration des transports, les franciliens ont accès aux vins méridionaux, qui avec des raisins plus mûrs, conquirent le marché avec leurs vins à petit prix et qualitatif. De plus, l’industrialisation et l’urbanisation massives occupèrent peu à peu les vallées et les versants, terroirs classiques de la viticulture et entrainèrent une augmentation du foncier. Enfin, les besoins en main-d’œuvre des grandes exploitations et des entreprises conduisent à un exode agricole et à l’abandon de la viticulture.
En 1784, l’Etat décida d’étendre le territoire francilien soumis aux droits d’entrée pour arrêter les nombreuses fraudes mais aussi pour englober les guinguettes qui seront dorénavant taxées. Cela augmentera les tensions avec le peuple et sera un accélérateur de révolution.
Au 19ème siècle, les cultivateurs remplacent les vignes par des champs de fleurs ou du maraîchage en raison de la baisse du prix du vin. Et ce sont les maladies de la vigne, le phylloxéra et le mildiou venus des Etats-Unis qui achèveront le vignoble déjà très affaibli. De quarante-cinq mille hectares en 1789 on arrivera à mille en 1920, deux cent cinquante en 1934 et on arrachera les dernières vignes aux aurores de la Seconde Guerre mondiale à Meudon.
Cependant, ce déclin n’était pas une fatalité… Depuis quelques années, quelques associations et collectivités, ont replanté des vignes pour ressusciter la tradition des vignobles franciliens. On vous en dit plus dans un autre article !
*Sources:
Mémoire Vin de Paris : Bien plus qu’une lubie entrepreno-hipster ! (Antoine Sfeir, Luca Pronzato)
Histoire du vin : Moyen-Age (Inrap)
Co-écrit par Hélène Savoye et Marion Château
2 commentaires
Bravo, pour ces recherches enrichissantes, n’ai hâte de lire l’article suivant.
Merci encore 👏
Très intéressant cet article sur les vignobles desbanlieues Parisiennes. J’en connais deux actuellement, à Argenteuil, et non loin , devant le moulin de Sannois.