Difficile de passer à côté. La demande est forte, tous les cavistes vous le diront. Pas un jour sans qu’ils ne reçoivent une demande. Oui, je veux parler des vins désalcoolisés, avec peu ou pas d’alcool, que beaucoup appellent le vin NOLO. Un bon anglicisme de derrière les fagots. NO désignant les vins sans alcool (no-alcohol) et LO les vins à faible teneur en alcool (low-alcohol). On parlera donc ici de vins qui subissent une désalcoolisation avec un degré alcoolique final inférieur à 8,5%. Mais d’où vient ce raz de marée ? Et de quoi parle-t-on exactement ? Ma réponse et mon avis dans cet article !
Les origines du phénomène
Revenons aux origines du phénomène. La consommation de vin baisse dans beaucoup de pays à forte culture viticole. Elle baisse très fortement, comme l’atteste le graphique suivant.
Crédits : American Association of Wine Economics
En France, la consommation de vin est ainsi passée de 141 litres par habitant en 1953 à 38 litres en 2018. Depuis les années 60-70, de nombreux États occidentaux se sont emparés des questions de santé publique en pointant, entre autres, les méfaits de l’alcool. Comme l’a rappelé l’Organisation Mondiale de la Santé en janvier 2023, aucun niveau de consommation d’alcool n’est sûr, car « les risques et les dommages associés à la consommation d’alcool ont été systématiquement et scientifiquement évalués au fil des années et sont aujourd’hui bien documentés ».
Tout le monde n’adhère pas (voir article de Wine Business de mars 2024) mais l’idée que l’alcool, même à faible dose, présente des risques pour la santé est étayée par de nombreuses études. Un consensus existe aujourd’hui sur les effets potentiellement délétères de l’alcool (directs et indirects) à court et long terme : fatigue, gueule de bois, accidents de la route, alcoolisme, cirrhose, maladies cardio-vasculaires…
Des politiques publiques ont ainsi été mises en place pour inciter à réduire la consommation d’alcool. Ces politiques ont eu un succès important. Elles ont participé un changement culturel notable menant à la forte déconsommation dont nous sommes témoins. Beaucoup de gens ont pris conscience des méfaits de l’alcool, notamment chez les jeunes. 30% des membres de la GenZ (personnes nées après 1996) ne boivent pas du tout d’alcool. Et elle boit globalement 20% d’alcool en moins par personne que la génération précédente (Millennials) au même âge.
Autre facteur important qui touche toutes les catégories de la population, de plus en plus de personnes prennent davantage soin d’eux. La philosophie et l’économie de ce que les anglo-saxons appellent le « Care & Wellness » a pris beaucoup d’ampleur. Or une consommation importante d’alcool est incompatible avec une pratique régulière du sport. De même, réduire la consommation d’alcool est une solution simple et efficace pour réduire la sensation de fatigue.
Néanmoins, l’alcool a une fonction sociale importante. Il est encore pour beaucoup difficile d’imaginer un apéritif ou une soirée avec des sodas, des jus de fruit ou des sirops qui sont resté pendant très longtemps les seules alternatives sans alcool. Depuis quelques années, des producteurs ont donc décidé de s’emparer de la désalcoolisation des vins pour proposer une alternative gustative intéressante. Et le succès est au rendez-vous.
En Australie, « la valeur des ventes de boissons à faible teneur en alcool a augmenté de 30 % par an au cours des cinq dernières années » selon l’International Wine and Spirit Records (IWSR). Toujours selon des données publiées fin 2023 par l’IWSR, le taux de croissance sur la période 2018-2022 a été de 5 % et devrait être de 7 % pour 2022-2026 (9 % en 2022) annuellement en volume dans dix marchés leaders : France, États-Unis, Royaume-Uni, Japon, Brésil, Allemagne, Espagne, Australie, Canada, Afrique du Sud. Le vin sans ou à faible teneur en alcool fait partie de cette catégorie avec une croissance similaire.
La désalcoolisation
Tout d’abord et comme son nom l’indique, le vin désalcoolisé est produit à partir de vin tranquille. N’importe quel style de vin tranquille est donc utilisable : rouge, blanc, rosé, orange, fruité, blindé de soufre, bio, puissant et tanique, léger et aérien, doux, etc. L’éventail des techniques de vinification et élevage est disponible pour façonner le vin initial. Vient ensuite la désalcoolisation partielle ou totale. Aujourd’hui, trois techniques sont principalement utilisées dans l’industrie : l’osmose inverse, la distillation sous vide et la distillation sous vide avec colonne à cônes rotatifs.
Les techniques membranaires
L’osmose inverse est une technique membranaire. La membrane agit comme un filtre pour les plus petites molécules composant le vin, à savoir l’eau, l’alcool et certains acides. D’autres éléments tels que les arômes, les tanins et la couleur sont arrêtés par la membrane. À ce stade, le liquide composé principalement d’eau et d’alcool est traité pour séparer ces deux composés. Cela peut être fait via un contacteur membranaire (technologie différente de l’osmose inverse) ou par distillation. Une fois que les phases aqueuses et alcooliques ont été séparées, les arômes, tanins et la couleur sont assemblés à la phase aqueuse. Le vin désalcoolisé est ainsi créé tandis que l’alcool est revalorisé dans l’industrie.
Contacteur membranaire utilisant la technique de l’osmose inverse (Crédits : B&S Tech)
Principe de l’osmose inverse (Crédits : Gemstab)
La distillation sous vide
Les deux autres procédés utilisent la distillation sous vide. L’idée de base étant de séparer la phase aqueuse et l’alcool en chauffant le vin. Le point d’ébullition de l’alcool étant plus bas que celui de l’eau, en chauffant modérément (autour de 70°C), on sépare les deux composés. Sauf qu’à cette température, la majeure partie des arômes est dégradée. En établissant un vide partiel dans la colonne de distillation, le point d’ébullition de tous les composés est abaissé. On peut ainsi séparer la phase aqueuse de la phase alcoolique avec une température comprise entre 30 et 40°C, préservant ainsi bien mieux les arômes.
Il y a d’abord la distillation sous vide simple pour laquelle deux options existent. Dans la première, le vin passe une fois à travers le système de distillation pour séparer la phase aqueuse et la phase organique (alcool + arômes). La distillation se fait à une température d’environ 38 °C. Il n’y a pas d’assemblage final ici, oin récupère simplement la phase aqueuse. C’est une technique rapide mais qui fait disparaître beaucoup d’arômes.
La deuxième option se fait en deux passes. Lors de la première, les arômes sont distillés et séparés de l’alcool et de la phase aqueuse à une température d’environ 28 °C. L’alcool et la phase aqueuse sont ensuite séparés lors d’une deuxième passe à environ 38 °C. Les arômes et la phase aqueuse sont ensuite réunis pour donner le vin désalcoolisé.
Colonne de distillation sous vide (Crédits : B&S Tech)
La deuxième technique, appelée colonne à cônes rotatifs (SCC), est similaire, utilisant également la distillation sous vide. Cependant, elle diffère à certains égards. La colonne à cônes rotatifs permet de faire tourner le vin doucement et à plusieurs reprises pour en faire un mince film liquide. Cela rend la capture des arômes volatils plus efficace et plus rapide.
La méthode SCC est une procédure en deux étapes. Lors de la première, le vin passe à travers la colonne à basse température (environ 28 °C) et basse pression (0,04 atm), récupérant les arômes qui représentent environ 1 % du volume du produit. Le vin traverse une deuxième fois la SCC, où il est chauffé à environ 38 °C et subit une élimination de l’alcool avec une pression sous vide légèrement augmentée. Les arômes de vin récupérés sont réunis avec la phase aqueuse pour créer le vin désalcoolisé. Le processus est plus rapide que la distillation sans SCC et dure moins d’une minute.
Principe de la colonne à cônes rotatifs (Crédits : Flavourtech)
Avantages et incovénients
Si le but est de produire un vin partiellement désalcoolisé, seule une partie du volume est traitée suivant l’un de ces procédés. Laissant intact la majeure partie du vin initialement produit. De manière générale, l’osmose inverse est le procédé le moins onéreux mais aussi le moins rapide. C’est aussi un système de petite taille, facilement transportable et donc facilement utilisable par plusieurs producteurs dans une même région voire à l’échelle de la France pour des prestataires de service. La distillation sous vide requiert en revanche des installations beaucoup plus importantes et coûteuses. Seuls de gros acteurs comme Cordier ou des producteurs de spiritueux possèdent aujourd’hui les installations nécessaires en Europe. L’osmose inverse semble adaptée à des faibles réductions du niveau d’alcool, de 1 à 4%. En revanche, elle apparaît comme étant la technologie avec la plus grande perte d’arômes dans le produit final, surtout lorsque celui-ci est complètement désalcoolisé.
Effets sur le vin
En considérant l’une des techniques ci-dessus, la suppression de l’alcool signifie une réduction du volume total du produit. D’autres éléments que l’alcool (tanins, couleur, arômes, acides) se retrouvent en plus grande concentration dans le produit final. Le lien entre la concentration d’acide et le pH n’est pas linéaire. Cela dépend du type d’acide, ce qui signifie qu’une concentration plus élevée en acides n’implique pas nécessairement un pH plus bas. Cependant, la plupart des vins que j’ai goûtés avaient une acidité élevée, même lorsqu’ils étaient fabriqués à partir de cépages à l’acidité faible à moyenne tels que le viognier, le merlot ou le grenache. Une étude de 2021 de Rodrigo Loyol Garcia de l’université de Talca suggère que l’acidité totale est davantage accentuée par la SCC que par l’osmose inverse.
Il semble que la majorité des vins rouges désalcoolisés ont un niveau de tanins pratiquement équivalent ou supérieur à celui des vins originaux. Leur niveau augmente de manière significative lors de l’utilisation de la SCC. Tandis qu’ils diminuent très légèrement lors de l’utilisation de l’osmose inverse. L’impact sur la couleur dépend également du processus de désalcoolisation. Les vins rouges peuvent voir une intensification de la couleur, les pigments et les tanins étant plus solubles dans l’alcool. Avec la désalcoolisation, une plus grande concentration de pigments de couleur et de tanins est présente dans le produit final. Bien que les tanins ne soient pas aussi bien extraits que les pigments de couleur.
Par ailleurs, la désalcoolisation affecte significativement la longueur en bouche. En effet, l’alcool est un des supports principaux de cette longueur dans les vins. Supprimer l’alcool signifie se priver d’un vecteur gustatif de premier plan. Certains producteurs ajoutent donc un peu de sucre et des arômes poivrés ou de gingembre pour avoir une sensation d’allonge et de volume en bouche.
Familles de produits
Aujourd’hui, 3 générations de produits sont sur le marché. Il y a tout d’abord les boissons produites rapidement dans le but de répondre le plus vite possible à une demande spéciale ou pour écouler du vin invendu. C’est historiquement les premiers vins qui ont été désalcoolisés et les moins convaincants qualitativement. La seconde génération, qui est sur le marché depuis quelques années seulement, a été produite avec des vins de bien meilleure qualité. L’idée étant que plus le vin de base est bon, plus le produit final le sera également. Bien que cette idée paraît logique, elle n’a pas valeur de loi. En effet, tanins, acidité peuvent être grandement modifiés. Pour un vin puissant et tannique, si l’acidité baisse et que le niveau de tanin augmente, le produit final risque d’être déséquilibré.
C’est là que la troisième génération intervient. Pour ces boissons, il s’agit d’anticiper l’effet de la désalcoolisation pour atteindre un objectif final. Le vin initial est donc produit spécifiquement pour être désalcoolisé en imaginant le produit final. C’est le cas de la cuvée Merlot-Tannat Révolutionnaire de Moderato, seule marque à avoir à ce jour sorti ce type de produit. Mais il y a fort à parier que de nombreux producteurs suivront cette démarche.
Dégustation (vins totalement désalcoolisés)
Equilibre zéro blanc, L’Arjolle (8€50) : assemblage viognier-sauvignon blanc. Un vin très marqué par l’acidité, clairement déséquilibré. Difficile de reconnaître les arômes d’un des deux cépages, très court en bouche. Aucun plaisir.
Equilibre zéro rouge, L’Arjolle (8€50) : assemblage merlot-grenache, un vin nettement plus convaincant que le blanc du même domaine. Il y a des beaux arômes de fruits rouges, des tanins très légèrement asséchants mais mûrs. La finale est moyenne, poivrée et très agréable. Belle option pour un apéritif fruité.
Phénomène, domaine de la Grenaudière (région du Muscadet, 12€60) : un vin simple et bien fait sur des notes d’agrumes et de fleurs blanches. Joli équilibre autour de l’acidité. C’est rafraîchissant, avec du peps.
Crédits : Romain Becker
Prince Oscar, Coralie de Boüard (29€) : assemblage de merlot, cabernet sauvignon et cabernet franc. Notes de fruits rouges et noirs avec une pointe végétale. La bouche est en demi-corps avec des tanins asséchants, des notes de poivre et une belle concentration. Finale relativement courte. L’acidité apporte de la fraîcheur au vin mais les tanins un peu trop présents. Cela mérite sûrement d’être bu à table avec un plat en sauce.
Leonis Blend, Zeronimo (39€90) : vin produit en Autriche, assemblage de Blaufränkisch, Zweigelt et Cabernet Sauvignon. Nez fin avec des arômes de mûre, de cerise noire, de framboise et des notes boisées. En bouche c’est franc du collier avec une texture soyeuse, délicate. On perçoit nettement des arômes de cerise, de mûre, une note fumée et une pointe végétale. Petite persistance aromatique sur les fruits rouges. Bluffant.
Crédits : Romain Becker
Voici donc un nouveau terrain de jeu à explorer. Beaucoup de critiques apparaissent, notamment sur l’utilisation du terme vin pour ces boissons. N’oublions pas que nous sommes encore dans la phase d’exploration avec des procédés à mettre au point et des savoirs-faire à acquérir. Comme le montre Zeronimo, il est possible de prendre beaucoup de plaisir avec un vin désalcoolisé. Si les efforts suffisants sont mis sur la qualité du produit et le marketing, nul doute que ces vins désalcoolisés trouveront leur public. Y compris chez les amateurs de vin.
Merci à Frédéric Chouquet-Stringer de Zénothèque, Jérôme Cuny de La Cave Parallèle et à la cave Le Paon qui boit pour votre aide précieuse.
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