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Viticulture et changement climatique

Par Valentin Mery | 1 juin 2021 | Reportages | 0 commentaire

Le changement climatique est une réalité scientifiquement documentée et les conséquences sont multiples : hausse des températures moyennes, de la fréquence et de l’intensité des évènements climatiques extrêmes, fonte des glaces et montée des eaux.. Ce bouleversement rapide du climat a des répercussions sur tous les aspects de notre environnement et les vignes ne sont bien évidemment pas épargnées. Ce premier article s’inscrit dans une série (numéro 1/3) où nous observerons ensemble concrètement ce que ce changement sans précédent induit sur cette plante que l’on admire tant, les conséquences sur le vin, boisson tout aussi chère dans nos cœurs. Nous terminerons cette série en traitant un sujet qui passe encore trop inaperçu : l’impact environnemental global de la filière vin.

Les constats du changement climatique

Un réchauffement rapide et important

Depuis les années 1980, en France, les températures moyennes ont augmenté de 1,5°. Des hivers particulièrement doux comme ceux des dernières années impliquent un débourrement (sortie des bourgeons) plus précoces. Cela rend les bourgeons vulnérables à la moindre chute de température qui arrive en avril et en mai. Il suffit alors d’une nuit avec des températures inférieures à 0° et pendant plusieurs heures pour tuer les futures récoltes dans l’œuf.

Evolution de la température moyenne annuelle mondiale de 1850 à 2019
Sources : NASA ; NOAA ; Hadley Center

Les précipitations ont augmenté dans la partie nord du pays. Cela conduit à un terrain favorable au développement de champignons parasites pour la vigne tels que oïdium et mildiou, pour ne citer que les plus connus. 

Dans le même temps, les précipitations ont diminué dans la partie sud du pays. Un stress hydrique (manque d’eau) de plus en plus important d’année en année dans les vignobles aux abords de la méditerranée et dans la vallée du Rhône, Beaujolais inclus.

Bougies utilisées pour lutter contre le gel en Bourgogne

Des évènements extrêmes

Les épisodes climatiques extrêmes comme les pluies excessivement abondantes, les grêles et les sécheresses se sont multipliées, et se renouvellent régulièrement chaque année. 

Les vignes du pourtour méditerranéen ont souffert des records de chaleur de l’été 2020. Des parcelles entières ont été littéralement brulées par le soleil avec des températures avoisinant les 40°, associées à un stress hydrique (manque d’eau) prolongé déjà en place, comme ici dans l’Hérault.

Vignes brûlées par le chaleur dans l’Hérault pendant l’été 2020.

Si le calendrier des saisons est bouleversé, il en va de même pour le rythme des viticulteurs. Chaque année le temps des vendanges arrive de plus en plus tôt pour la majorité d’entre eux.  Les maturités des raisins s’avancent aussi vite que la chaleur et l’ensoleillement se font plus forts dès le mois de février. Ce décalage pousse les bourgeons à sortir plus tôt, les rendant vulnérables aux épisodes de froid qui reviennent communément au début du printemps. C’est particulièrement le cas du chardonnay , un cépage au débourrement précoce, qui a beaucoup souffert du gel en cette année 2021.

Evolution de la date de vendange (moyenne décennale) entre 1901 et 2018

Vendanger plus tôt, c’est une chose. Nous pourrions parler d’un simple décalage d’organisation pour les vigneron.nes. 

Cependant, l’avancée de la période de maturité rend bien plus compliqué le choix de la date des vendanges. En période plus chaude du mois d’août et du début septembre, les raisins mûrissent bien plus vite. Ainsi les sucres peuvent se développer en quelques jours, faisant grimper le taux d’alcool rapidement. Dans le même temps, l’acidité va se réduire drastiquement en aussi peu de temps sous l’effet de la chaleur. Plus d’alcool, moins d’acidité et le vin obtenu se trouve déséquilibré.

Enfin, la maturité alcoolique (soit un taux d’alcool potentiel autour de 13°) a tendance à arriver plus vite que la maturité phénolique. Les composés phénoliques sont les éléments qui donnent couleurs, goûts et complexité d’arômes et de texture au vin. Là encore, la période où concordent ces maturités est de plus en plus réduite, voire insaisissable.

Ces changements sont aussi prégnants qu’ils sont brusques. Les constats faits plus haut se jouent sur seulement une poignée d’années. Ainsi l’adaptation à ces nouvelles conditions ne peut se faire correctement, tant les années ajoutent de nouveaux défis. 

Tous ces changements font peser des risques très lourds sur la filière : perte de récolte, vins aux qualités gustatives moins intéressantes et donc moins marchands, impact des changements climatiques sur l’environnement direct de la vigne et donc sur sa capacité à être en bonne santé, apparitions de nouvelles maladies. 

Si l’adaptation à ces nouvelles conditions n’est pas simple, elle est nécessaire pour la survie de la filière

Les solutions à moyen et long terme

Comment réagir pour s’adapter ? C’est la question que tous les acteurs de la filière vin se posent pour garantir la pérennité de leur métier. A court ou moyen terme, il est possible de limiter les effets néfastes du changement climatique sur la vigne. 

Expérimentation d’implantation de panneaux solaires sur une parcelle à Piolenc, Vaucluse

Des techniques d’ombrage sont aussi efficaces contre la grêle que pour se prémunir des brûlures du soleil. Quand certains proposent des panneaux solaires (impact environnemental à explorer…) dans les rangs, d’autres plantent des arbres. C’est le cas de Yann Durrmann, en Alsace, qui a pu constater que ses arbres fruitiers dans les rangs permettent de limiter d’environ 3 degrés les fortes variations de températures positives et négatives. Ces plantations sont aussi efficaces pour retenir l’eau et jouer les parasols. Des filets protecteurs contre la grêle peuvent également faire ce double office.

Vignes complantées en Occitanie

L’Enherbement et le couvert végétal permettent de conserver l’eau et de maintenir la fraîcheur du sol. Il est même possible de pailler en été, sur des terres excessivement sèches. La paille retient l’humidité et protège le sol d’être à nu face au soleil. Une vigneronne du Priorat (Clos Martinet, Catalogne) a ainsi constaté une température de ces sols très en dessous de celles de ses voisins, au plus fort de l’été.

Reste à trouver l’équilibre selon la géologie du sol. Trop d’humidité n’est pas non plus une bonne chose tant elle est un terrain favorable à l’apparition de maladies néfastes pour la vigne.

Nous l’avons vu, le végétal ne s’adapte pas par lui-même au changement pour continuer à fournir des raisins. Ainsi c’est à l’Homme de jouer son rôle de guide. Par la taille et les modes de cultures, les vigneron.nes peuvent aider à faire face. 

Une taille plus tardive permet de limiter l’impact du gel. En effet, en taillant plus tard, on retarde la sortie des bourgeons, les préservant des périodes de gel des mois de mars et avril. C’est le constat de vigneron.ne.s plutôt épargné.e.s par le violent épisode de gel de cette année 2021. Néanmoins la taille est une activité coûteuse en temps. Il est nécessaire de tailler avant l’arrivée du printemps et la remontée de la sève. Cela pose problème pour les vastes domaines qui peuvent difficilement  se permettre de tailler en quelques jours. L’expérience en la matière est actuellement menée en Bourgogne par Claire Naudin, encouragée par l’Institut de la vigne à tailler ses vignes à la fin du mois d’avril.

Les modes de culture ont également leur rôle à jouer. L’agriculture biologique permet aux vigneron.ne.s de conserver une vie microbienne utile à la pérennité des sols. Des terres plus vivantes, c’est plus de rétention de l’eau, soit des réserves pour faire face aux périodes de sécheresses intenses. En bio et encore plus en biodynamie, les racines plongent au plus profond de leurs sols pour aller chercher l’eau et les minéraux essentiels à la bonne santé de la vigne.. Ce n’est pas le cas en agriculture conventionnelle, les racines étant plus en surface pour capter les engrais fournis.

A plus long terme, des solutions existent pour assurer la pérennité des vignobles.

Enherbement naturel au domaine Lissner, Wolxheim, Alsace

Le choix du matériel végétal est un élément clé pour adapter la vigne au changement climatique sur le long terme. Pépiniéristes et vigneron.nes travaillent déjà ensemble pour trouver les cépages de demain. Valentin Morel a évoqué son intérêt pour les cépages résistants issus de croisements naturels. Ces espèces de vignes seraient plus résistantes aux maladies et leur cycle végétatif serait plus adapté au rythme que prend le climat. Une solution de long terme quand on sait que pour ce qui est des cépages Vitis Vinifera déjà majoritairement présents sur le territoire, l’idée de les planter selon la nouvelle carte du climat qui se dessine fait son chemin. Des essais de plantation de syrah sur les granites du Beaujolais, ainsi que des expérimentations d’anciens cépages tardifs à Bordeaux sont déjà en cours.

Enfin, l‘orientation des plantations pourrait également évoluer. En privilégiant des expositions plus légères, vers le Nord, il est possible de limiter l’ensoleillement au plus fort des journées dans le sud de l’Hexagone. En France, on a privilégié l’orientation sud de la vigne à l’époque où une bonne exposition était nécessaire pour la mener à maturité. A l’inverse et pas si loin de l’Hexagone, dans la région de la Ribera del Duero en Espagne, les vignes sont déjà plus orientées au nord pour se préserver des fortes chaleurs des étés.

Tous les acteurs de terrain sont concernés. Ils subissent de plein fouet les effets du changement climatique. Ils sont donc conscients de la nécessité de s’adapter d’une manière ou d’une autre. Les chercheurs sont également sur le pont avec des projets comme VITAE qui aspire à tester des démarches sans pesticides à grande échelle. Toutefois la rapidité de réaction nécessaire fait face à l’inertie induite par l’organisation de la filière dans sa globalité. Le très grand nombre d’acteurs concernés sans réel organisme directeur amène des efforts de toute part sans coordination. Ainsi les concertations et collaborations prochaines seront cruciales  pour gérer ces enjeux efficacement.

En cave

Comment maintenir l’acidité

Nous l’avons vu, l’acidité fait défaut à l’heure de l’augmentation des températures lors de la maturité des baies. Plusieurs solutions existent pour maintenir l’acidité qui se décompose principalement comme tel dans le vin : malique, tartrique, ascorbique, citrique, acétique, lactique. Chacun de ces acides ont un goût différent. Le lactique vous rapportera aux saveurs lactées, l’acétique vous rappellera le vinaigre, le malique la verdeur des fruits peu mûrs. Encore une fois, question d’équilibre. 

L’acide tartrique est considéré comme l’un des plus importants pour apporter cette tension, voire même cette fameuse minéralité, car c’est le plus fort que l’on retrouve dans nos verres.

Il est possible de l’ajouter directement en tant qu’additif naturel lui-même extrait de la vigne. L’ajout est autorisé dans la limite de 1,5 g/L et seulement dans les zones du sud de la France proches du pourtour méditerranéen. Des dérogations sont possibles suivant les millésimes dans le reste du pays.

Certains vigneron.ne.s  ont observé que la pratique d’agriculture biodynamique permettait d’accroître la teneur en acide tartrique. C’est le cas d’Alice et Olivier De Moor, couple de vignerons sur l’AOC Chablis. Au domaine des Faverelles, plus au sud, à Vézelay, le constat est le même : du passage du bio à la biodynamie, les raisins récoltés apportent plus d’acide tartrique naturellement.

Comment alléger la concentration

Autres problèmes à gérer, la maturité trop importante qui donne des arômes confiturés et des textures plus épaisses au vin. Certains cépages à la peau plus épaisse et à l’aromatique naturellement plus expressive peuvent ainsi donner des vins particulièrement consistants. Ce constat est aussi dû aux pratiques de vinification. Il est dans la tradition de certaines régions de piger (soit pousser les matières solides en suspensions dans le jus pour plus d’extraction), de remonter le jus pour le remettre en contact avec les peaux. C’est le cas à Châteauneuf-du-pape mais aussi en Bourgogne et dans bien d’autres vignobles.

Pour alléger le corps des vins issus de raisins bien mûrs, il est préférable de limiter ces pratiques pour réduire les extractions habituelles. Certains vigneron.ne.s ont ainsi fait le choix de plus “laisser infuser” que d’extraire à outrance.

Comment maintenir le taux d’alcool

Enfin vient la problématique de l’alcool et son augmentation dans le vin amenant au déséquilibre. En maintenant ou élevant tous les composés (acide, arômes, texture), il est possible de maintenir l’équilibre. C’est le cas de certains vin d’Alsace dont les taux d’alcool de plus en plus élevé n’empêche pas de garder l’équilibre, grâce à des acidités supérieures notamment. C’est le cas des vins de Bruno Schloegel du domaine Lissner par exemple. En 2019 on peut trouver des 14° et 15° dont la richesse se ressent en bouche, sans être omniprésente.

Les pistes sont donc multiples pour continuer à produire des vins qui continueront de ravir nos papilles. Tous les acteurs de terrain sont concernés. Ils subissent de plein fouet les effets du changement climatique. Ils sont donc conscients de la nécessité de s’adapter d’une manière ou d’une autre. Les chercheurs sont également sur le pont avec des projets comme VITAE qui aspire à tester des démarches sans pesticides à grande échelle. Toutefois la rapidité de réaction nécessaire fait face à l’inertie induite par l’organisation de la filière dans sa globalité. Le très grand nombre d’acteurs concernés sans réel organisme directeur amène des efforts de toute part sans coordination. Ainsi les concertations et collaborations prochaines seront cruciales  pour gérer ces enjeux efficacement.

Sources :

https://www.inrae.fr/actualites/laccave-vins-adaptes-au-climat-demain

https://www.inrae.fr/actualites/vigne-au-verre-vin-aider-chaque-acteur-sadapter-aux-effets-du-changement-climatique

https://www.inrae.fr/actualites/cultiver-vigne-pesticides-lancement-du-projet-vitae

« La vigne et ses plantes compagnes, Histoire et avenir d’un compagnonnage végétal, Agriculture, Arbre / Forêt, Botanique, Nature et environnement » – Yves et Léa Darricau – Editions du Rouergue

https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/vaucluse/piolenc-panneaux-photovoltaiques-protegent-vignes-coups-chaleur-1702624.amp

https://www.novethic.fr/actualite/environnement/agriculture/isr-rse/alerte-rouge-sur-le-vin-rechauffement-climatique-la-technologie-au-secours-des-vignes-146733.html

« La révolution agroécologique » – Alain Olivier – Editions Ecosociété

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Rédacteurs : Valentin Méry – Romain Becker

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