La préservation de l’environnement est l’affaire des producteurs autant que des consommateurs : la nécessité de protéger les ressources en adoptant des pratiques et des habitudes qui s’inscrivent dans une démarche agroécologique semble désormais évidente face aux enjeux et défis écologiques contemporains. Une poignée de vignerons, souvent déjà engagés dans une agriculture biologique voire biodynamique, expérimentent les principes et techniques de l’agrobiologie, de l’agroforesterie, de la polyculture et de la permaculture dans un contexte viticole.
En effet, puisque la biodynamie est une forme d’agriculture biologique à la fois holistique (globale), régénérative et positive pour la Terre, il ne semble pas illogique que ces vignerons qui “biodynamitent” le paysage et la filière viticoles s’intéressent aux apports de ces pratiques agricoles, qui renouent avec une certaine authenticité, pour faire du bien à la terre, aux animaux et, par là, aux hommes. Quand on observe les résultats dans les domaines déjà bien avancés dans cette voie, on espère que ces quelques irréductibles vignerons ou précurseurs d’une nouvelle ère – qui revient pourtant à une forme d’authenticité – feront des émules. Et face à l’urgence climatique et à la situation sanitaire, le plus vite sera le mieux.
Un peu de vocabulaire.
Comme l’auteur de ces lignes, vous vous satisfaites peut-être déjà de pouvoir vous y retrouver, sans encombre ni errances lexicales, entre vin issu de l’agriculture conventionnelle, vin bio, vin en biodynamie, vin sans sulfites ajoutés, vin nature vin pur jus et autres locutions à épithète éloquente pour signifier avec ces additifs grammaticaux qu’on a soustrait dans telle proportion la quantité d’intrants chimiques et de gestes interventionnistes qui ne sont pas tenus d’être inscrits sur l’étiquette. Si tel est le cas, vous serez peut-être prêt à relever le défi d’enrichir le carnet de vocabulaire et d’y ajouter les entrées “agroécologie”, “polyculture”, “permaculture” ou encore “agroforesterie”… Ce qui est passionnant autant que redoutable lorsque l’on décide de creuser en la matière, c’est qu’un mot chasse l’autre, qu’une notion en appelle une autre, et que le buveur curieux et avide d’enrichir ses connaissances a rapidement l’impression d’être confronté à un abyme de sciences et de pratiques inconnues qui le renvoie à sa propre humilité. Mais faire montre d’humilité, n’est-ce pas justement avoir les pieds bien ancrés dans l’humus, en sachant qu’en matière de vin et de paysannerie, bien mal avisé qui croit tout savoir ?
Ces quelques lignes ont donc l’ambition de vouloir exposer les rudiments et les vertus de ces techniques agricoles proches mais différentes, et d’en interroger les résultats sur les produits que nous consommons, et plus particulièrement ceux que nous buvons. Par souci d’honnêteté intellectuelle, il convient de préciser ici que le narrateur de ce propos n’est ni agronome ni paysan, mais pétri d’une conscience écologique et convaincu des avantages que ces pratiques peuvent apporter à la viticulture et plus largement à l’agriculture, dans un souci de respecter les sols, l’eau, les êtres vivants et les rythmes naturels.
Des alternatives à la norme ou un retour aux sources ?
Ces pratiques qui se présentent comme autant d’alternatives à l’agriculture industrielle, dite conventionnelle (comme si celle-ci était “normale”), ont ceci en commun qu’elles visent à garantir des modes de production respectueux de l’environnement et du bien-être animal, ce qui protège la santé des paysans dont la majorité inhalent depuis leur tracteur moult pulvérisations de produits biocides et pour certains cancérigènes.
En ce qui concerne la viticulture conduite en biodynamie, le raisin est produit sans aucune substance phytosanitaire de synthèse mais avec des traitements à base de tisanes de plantes et de compost de bouse de vache pour fertiliser les sols, soigner la vigne et favoriser la production de grappes saines qui sont vendangées à maturité. Puis le raisin est vinifié souvent seul, sans ajout de levures exogènes pour la fermentation, sans correcteurs de vendange divers ni chaptalisation. Seules quelques techniques comme la filtration et le collage sont éventuellement utilisées par le vigneron. La biodynamie concerne également, à plus grande échelle dans le monde, de grandes cultures comme les céréales, les légumes et les oléagineux, d’ores et déjà présents dans les rayons des épiceries bio.
Or, certains vignerons qui travaillent selon ce mode d’agriculture tentent l’expérience d’implémenter au domaine des pratiques agroécologiques et se lancent dans des projets d’’agroforesterie, de polyculture et de permaculture, qu’il s’agisse de pousser plus loin les exigences de leur cahier des charges, de tirer profit de ces pratiques pour prendre soin de leur sol et des ressources naturelles, de diversifier leur activité ou d’optimiser le potentiel de leur vin.
Planter l’arbre au milieu des vignes et remettre l’église au milieu du village.
Avec l’agroforesterie, arbres fruitiers, arbres truffiers, haies et autres arbustes font un retour remarqué dans les vignobles d’où ils avaient souvent été arrachés, au profit de la monoculture et sa mécanisation. L’intérêt principal est de réintroduire et favoriser la biodiversité tout en participant activement à la reconstruction du sol, principal défi que doivent relever de nos jours les surfaces viticoles, meurtries par des décennies de cette monoculture mécanisée soumise aux produits phytosanitaires et aux engrais. Inspirée de la forêt où le sol n’est pas travaillé, l’agroforesterie vise à développer les symbioses végétales, augmenter la matière organique se trouvant dans les couches superficielles du sol pour ensuite obtenir un humus de qualité, gage de symbioses mycorhiziennes entre racines et champignons.
Attention, l’agroforesterie ne doit pas être confondue avec l’agroécologie, dont elle est une composante majeure. L’agroécologie est une approche qui souligne que les systèmes sociaux et écologiques sont inséparables, que l’agriculture et les systèmes alimentaires sont liés. Ainsi, l’agroécologie se veut préservatrice de l’environnement et vise à être productive et autonome, en utilisant les ressources humaines et naturelles locales. La spécificité de l’agroécologie est qu’il s’agit à la fois de techniques agricoles, d’une discipline scientifique et d’un mouvement de défense des travailleurs agricoles, sans cahier des charges officiel ni labellisation mais avec le croisement des savoirs scientifiques modernes et des traditions agricoles locales. Aussi le vigneron qui vise à rendre son exploitation autonome et à valoriser les ressources locales suit les principes de l’agroécologie. En plus de techniques comme le compostage, il va chercher à intégrer dans sa pratique l’ensemble des paramètres de gestion écologique de l’espace cultivé, comme l’économie et la meilleure utilisation de l’eau, la lutte contre l’érosion, les haies et le reboisement préconisés par l’agroforesterie, etc. Tout en diminuant sa dépendance aux énergies fossiles et non renouvelables.
L’agroforesterie s’inscrit donc dans l’approche globale de l’agroécologie : comme son nom l’indique, ce sont les arbres qui sont au centre de ce système agricole. Il s’agit d’associer sur une même parcelle des arbres aux cultures et aux animaux : l’agroforesterie repose donc sur un équilibre entre l’arbre, la culture et l’animal. On voit bien comment cette image d’Epinal tranche avec la représentation traditionnelle que l’on se fait du vignoble. Si vous arpentez la Route des Grands Crus de Nuits-Saint-Georges à Santenay, vous observerez peu de haies et d’arbres épars dans dans parcelles souvent palissées : leur suppression s’est majoritairement effectuée entre 1960 et 1980, pour des raisons multifactorielles dont la principale reste la mécanisation. Cependant, le paysage pourrait être amené à évoluer dans la prochaine décennie, avec les projets d’agroforesterie initiés par des domaines qui font déjà souvent figure d’exception en Côte d’Or, notamment par leurs pratiques viticoles. Au domaine de La Pousse d’Or, par exemple, qui s’est déjà illustré par des expériences en permaculture, des arbres ont été plantés sur les parcelles, là où la place le permettait, pour réintroduire de la biodiversité. Quant au domaine Trapet, à Gevrey-Chambertin, on annonce un ambitieux projet d’agroforesterie à l’automne prochain : “ Pour mon épouse et moi-même, le chemin mûrement réfléchi de la biodynamie nous a paru évident dès 1995, nous a confié Jean-Louis Trapet. La biodynamie nous pousse et nous ouvre à d’autres univers, à d’autres voies et accompagnements. Nous cheminons en permanence et nous confrontons nos avis et expériences avec d’autres vignerons. Au domaine, la mise en place d’un plan de palissage plus haut et d’échalas crée de véritables niches écologiques et nous comptons aller plus loin.”
Le domaine Trapet a suivi une formation avec l’agronome et l’agroforestier Alain Canet afin de réfléchir à leurs futurs projets, et il paraît évident que celle-ci sera suivie d’actes tangibles dans leurs vignobles, à Gevrey-Chambertin et à Riquewihr. “L’appellation est un bien commun, conclut Jean-Louis Trapet, nous ne sommes pas les seuls acteurs, nous sommes passeurs…”
Plus au sud, dans le Beaujolais, au Domaine Bernard Vallette, on produit des vins “authentiquement non-conventionnels” en culture biologique et biodynamique certifiée Demeter. Dans la dernière décennie, Bernard Vallette s’est lancé dans un vaste projet agroforestier. Ainsi, les pieds de Gamay côtoient des arbres qui faisaient partie du paysage à l’époque de ses aïeux mais qui furent retirés pour favoriser le passage du tracteur. 27 arbres fruitiers à pépins et à noyaux furent plantés en 2015, suivis par la plantation de haies, de chênes et de noisetiers, qui non seulement diversifient le paysage mais permettent de nourrir tout au long de l’année la faune et la font revenir dans les vignes, au bénéfice de la biodiversité.
Alain Canet souligne quant à lui l’importance de l’arbre en agriculture afin d’intervenir sur le sol, l’eau, le climat, le paysage et la biodiversité, donc sur les cultures et les animaux. L’arbre permet de lutter contre l’érosion des sols et favorise leur fertilité et leur équilibre, notamment en cas de fortes pluies, comme celles qui frappèrent cette année, de mai à juillet, les vignobles de France et l’Allemagne.
Dans d’autres régions, où la pluviométrie est un défi, la présence d’arbres sur les parcelles cultivées permet de faire remonter l’eau et les minéraux des couches profondes du sol. Les arbres permettent alors de protéger les cultures en cas de sécheresse, outre l’ombre qu’ils peuvent offrir et la régulation qu’ils peuvent permettre sur la maturation des raisins.
Ainsi, les bénéfices de l’agroforesterie peuvent être précieux si les arbres permettent d’éviter aux producteurs de voir brûler ou geler leurs raisins : les épisodes de gel du printemps dernier ont douloureusement montré les limites de bougies ou d’asperseurs dont les vertus écologiques demeurent questionnables. Alain Canet insiste précisément sur l’importance de la sélection des espèces et de la gestion des arbres, dont un faible pourcentage sur la surface suffit pour observer des effets bénéfiques, notamment pour protéger les vignes des maladies et des aléas climatiques. Arbres et haies permettent en effet de contrôler naturellement la chaleur ou de protéger les vignes du vent et des risques de gel.
Par ailleurs, les arbres créent de l’activité organique et entretiennent la fertilité des sols grâce à la décomposition de leurs racines et de leurs feuilles. Autre avantage, et non des moindres, la diminution de la pression des ravageurs. Les arbres favorisent en effet le maintien d’un écosystème naturel par conservation ou amélioration de l’habitat ; les oiseaux insectivores, comme la mésange, font leur sort aux insectes ravageurs, tandis que les chauves-souris sont connues pour manger dix fois leur poids en insectes chaque nuit ! Ce sont notamment des prédateurs naturels du ver de la grappe. Mais si les merles et les grives s’attaquent au raisin ? Il suffit de prévoir l’habitat des rapaces pour réguler leur présence, tout en acceptant que dans un écosystème naturel riche et stable, chacun puisse se nourrir à sa faim. Les animaux gourmands laisseront bien assez de raisin pour faire du vin ! Et on sera toujours loin des pertes annuelles recensées actuellement à cause des maladies et des aléas climatiques, qui représentent des risques pérennes pour une vigne fragile, isolée et en monoculture.
Mais l’agroforesterie, ce n’est pas simplement planter des arbres en bordure des parcelles ! Il s’agit bel et bien de nouer une relation symbiotique entre les plantes, les sols, les arbres et des vignes saines et résilientes.
Pour éviter toute concurrence mais favoriser au contraire la communication et la coopération au sein de l’écosystème, Alain Canet et l’équipe de La Belle Vigne proposent une véritable réflexion agronomique avec diagnostic de la parcelle à l’appui avant de concevoir un projet d’agroforesterie qui n’intervient pas seul, mais en cohérence avec la conduite du couvert végétal, de la taille de la vigne et de la taille des arbres. Ces agronomes peuvent s’appuyer sur les résultats observés sur les parcelles dans lesquelles ils travaillent déjà pour en tirer de précieux enseignements. Fort du constat qu’un produit phytosanitaire, “bio” ou de synthèse, intervient trop tard pour corriger ou réparer les maux, les techniques proposées anticipent plutôt les phénomènes de maladie ou de dépérissement. Puisque mieux vaut prévenir que guérir, des mesures prophylactiques sont mises en place dans les vignobles afin d’empêcher l’apparition et la diffusion des maladies ou des ravageurs. Sur le modèle humaniste d’ “un esprit sain dans un corps sain”, l’objectif est tendre vers une vigne saine dans un sol sain.
Veau, vache, cochon… cuvée !
Quitte à réintroduire la présence animale à proximité des vignes et à sortir du modèle de la monoculture hérité de l’agriculture intensive, certains vignerons se laissent tenter par l’aventure paysanne de la polyculture. Il n’est plus rare de voir le cheval remplacer avantageusement le tracteur, que ce soit pour labourer les sols de manière précise sans stresser la vigne ni tasser les sols ou pour faire les vendanges en carriole. Mais la polyculture diversifie l’activité autant que la population de certains domaines.
Au domaine Grosbois, par exemple, situé en Touraine sur l’appellation Chinon, Sylvain et Nicolas Grosbois font du cabernet franc en biodynamie bien sûr (et du très bon !) mais élèvent en 100% bio des cochons, des bovins Black Angus, pratiquent le maraîchage, font pousser des chênes truffiers… D’abord, le domaine Grosbois s’illustre par un projet déjà bien avancé en agroforesterie qui se développera largement dans les années à venir : la parcelle historique du Clos du Noyer est bordée en hauteur de chênes truffiers. Mais Sylvain et Nicolas veulent porter un projet d’agroforesterie plus ambitieux, né d’un constat : lorsque l’on se promène dans les parcelles du Clos du Noyer et Clôture, on peut entendre le chant lointain des oiseaux plus haut dans la forêt et en contrebas de la prairie, mais le silence dans les vignes est criant. Avec la plantation de haies en bordure des parcelles et la création de nichoirs naturels en leur centre (agroforesterie dite intra-parcellaire), l’équipe du domaine souhaiterait installer un corridor écologique, sorte de couloir connectant la forêt et la prairie, quitte à sacrifier quelques rangs de vigne, au profit de la biodiversité. Les frères Grosbois expliquent en effet qu’un “lien se crée entre la forêt et les pâturages en traversant les parcelles de vignes, avec toujours à l’esprit l’idée de précision, d’équilibre et d’harmonie qui se retranscrit dans les vins.”
Ensuite, Nicolas et Sylvain ont éprouvé l’envie de relancer l’activité de polyculture au Pressoir, ancienne ferme fortifiée bâtie au XVème siècle où se situe le domaine, et de maintenir la tradition de fermage de ce bâtiment historique. Les vaches sont arrivées les premières dans les pâturages. Les cochons de race Longué, une race ancienne, rustique et locale, ont pris leurs quartiers au printemps 2021 dans la forêt attenante au domaine et dominant le Clos du Noyer ; élevés en plein air, les porcs se nourrissent de vers et de glands de chêne qu’ils trouvent sur place, en complément d’aliments bio qui seront prochainement intégralement produits au domaine, pour tendre vers l’autosuffisance. Pour les avoir rencontrés en personne, nous pouvons témoigner que ces cochons sont des privilégiés ! Les porcs sont élevés en pleine forêt quand seulement 5% des porcs sont élevés en plein air en France. Leur espace de vie est de 5000 mètres carrés pour 11 porcs et ils dorment par fratrie dans les « yourtes porcines », quand les directives européennes prévoient une surface minimale garantie de 1 mètre carré par porc de plus de 110 kilos.
Le domaine héberge également depuis longtemps des ruches, produit des céréales qui nourrissent les bêtes et pratique le maraîchage à de plus en plus grande échelle pour nourrir les hommes, avec pour ambition de fournir en légumes bio la cantine scolaire de la commune de Panzoult. Pierre, le jardinier-maraîcher du domaine, attend une récolte d’une douzaine de tonnes de pommes de terre à la fin de l’été, sur les 1000 mètres carrés qu’il a plantés et bichonnés, au point de faire la chasse aux doryphores à la main !
Vins en permaculture : zéro nitrate, zéro glyphosate, zéro labour !
De nombreux ouvrages et reportages récents illustrent les apports de la permaculture dans une exploitation viticole. Terme inventé par deux Australiens au milieu des années 1970, la permaculture n’est pas à proprement parler un système agricole. Contraction de l’anglais permanent agriculture, ce mot-valise signifiait initialement “culture permanente”, puis a été compris dans un sens plus sociologique comme « culture de ce qui est pérenne ou viable », selon une interprétation récente qui fait toutefois polémique. La permaculture constitue finalement une éthique visant à bâtir des installations humaines durables et résilientes en s’appuyant davantage sur la nature, tout en se fondant sur les connaissances biologiques et agricoles que l’expérience et le progrès scientifique nous ont permis d’acquérir et de mesurer. Comme nous l’avons précisé ci-dessus, l’agroécologie en tant que mouvement se rapproche beaucoup de l’esprit de la permaculture : la permaculture, c’est à la fois une philosophie, un mode de vie et un ensemble de méthodes qui intègre les bonnes pratiques de l’agriculture biologique et de l’agroécologie mais également les énergies renouvelables, l’éco-construction… Y compris dans son application dans les vignes, la permaculture s’inspire des forêts où le sol n’est pas travaillé. Traditionnellement, en permaculture, la terre n’est jamais retournée ni bêchée ; en revanche il est d’usage de l’aérer à l’aide d’une griffe ou d’une grelinette, à 15 cm de profondeur maximum. On l’identifie surtout dans les jardins, les potagers et les champs grâce à la technique dite de “zéro labour” : il s’agit de fournir au sol de la matière, le plus souvent de la paille, parfois du bois broyé et des écorces, afin de favoriser au maximum l’échange entre la terre et la plante et augmenter la vie microbienne du sol ; le paillage est également utilisé pour limiter les adventices donc éviter le désherbage, éviter le ruissellement de la pluie sur sol nu, conserver l’humidité et réguler la température des sols.
L’enjeu, vous l’aurez compris, est d’abord de préserver l’environnement, ensuite de cultiver la biodiversité et l’interdépendance qui existent naturellement dans des écosystèmes naturels autosuffisants, enfin d’économiser l’énergie pour vivre mieux. On vise à rendre le sol autonome sans mécanisation, à maintenir son équilibre en réduisant les passages et les actions humaines. Dans un souci de préserver la biodiversité, le permaculteur n’utilise pas de biocides naturels comme les insecticides biologiques, encore moins des pesticides, des désherbants ou des engrais de synthèse. Il part du principe que la nature s’autorégule.
Mais la permaculture, jusqu’ici plutôt réservée aux jardiniers-maraîchers, peut-elle alors s’exporter en viticulture et produire des effets intéressants ? Contrairement à l’agroforesterie qui emporte de plus en plus l’adhésion, la permaculture doit sans doute faire encore ses preuves sur le terrain et prouver qu’elle est à l’épreuve des aléas climatiques et des défis que présentent les millésimes successifs.
Le domaine de La Pousse d’Or, en Côte d’Or, s’est distingué en janvier 2017 par une expérience de paillage, dans le Clos de la Bousse d’Or, en contrebas de Volnay, le long de la route qui va de Pommard à Meursault. Hubert Rossignol y fit répandre de la paille au pied des ceps, ramenée en butte de chaque côté, sur une quinzaine de centimètres, tout en laissant apparaître un creux au milieu des rangs de vignes, comme on l’observe dans les bandes de maraîchage en permaculture. L’objectif d’Hubert Rossignol était de ne plus labourer le sol en obtenant un sol autonome et sans mécanisation. Au préalable, après une une étude de sol sur cette parcelle pour évaluer son état, un enherbement fut semé fin 2015, mélange de plantes légumineuses composé de trèfle nain blanc, de trèfle souterrain et de lotier, afin de capter l’azote, de décompacter le sol et d’en enrichir le taux de matière organique. Une fois ce tapis végétal installé, Hubert Rossignol a donc décidé de mettre en place un paillage de la vigne pour empêcher les herbes concurrentielles de pousser. Sans plantes adventices, nul besoin de travail mécanique, ni désherbant ni labour. A l’avenir, il faudra comparer et évaluer dans diverses régions et sous différents climats, les effets du paillage et d’autres pratiques de permaculture pour en constater le rapport bénéfices / risques : résistance aux maladies cryptogamiques, vigueur des ceps, précocité du débourrement… Le domaine de la Pousse d’Or n’a quant à lui pas reconduit cette expérience de paillage. Dans une région viticole fortement soumise à la pression du mildiou, le risque de favoriser des foyers d’humidité par le paillage doit être sérieusement pris en compte.
Du côté de Chinon, le Domaine Grosbois applique certaines techniques de permaculture dans son activité de maraîchage, sans l’étendre pour le moment à la viticulture, où d’autres expériences sont menées, notamment dans la conduite de la vigne et le tressage des sarments : cette technique respectueuse du cycle naturel de la vigne permet d’éviter le rognage consistant à couper l’apex, ce qui fragilise la plante, et de préserver l’énergie de la vigne en tressant délicatement les brins entre eux au sommet. La superficie importante du domaine et sa diversité parcellaire, tant viticole que céréalière ou bocagère, offrent à Sylvain et Nicolas un espace de travail et d’expérimentations où chaque décision est prise en cohérence avec la parcelle mais toujours selon une approche globale. Avec ses vignerons-éleveurs-agriculteurs, le Pressoir du XVème siècle, historiquement terre de polyculture, revient à ses pratiques ancestrales et redevient aujourd’hui un écosystème harmonieux.
Ainsi, les vignerons peuvent sélectionner à leur guise les techniques qu’ils ont envie d’expérimenter mais en laisser d’autres de côté. Libre à chacun d’adapter, d’ajuster, de croiser les approches, en composant avec les contraintes qui lui sont souvent déjà imposées par le cahier des charges de l’appellation qu’il choisit de suivre… ou pas.
Il ne s’agit pas non plus de diaboliser la mécanisation et de refuser le progrès : la mécanisation existe, la chimie offre des outils de mesure précis, et toutes deux rendent des services indéniables, que l’agroécologie intègre pleinement avec des principes d’équilibre et de savant dosage. Au-delà des caricatures que l’on peut en faire et dont on peut s’amuser au demeurant, le vigneron “vert” peut occasionnellement cultiver la vigne avec la lune et recycler ses déchets, mais conçoit surtout son domaine avec un bon sens écologique et responsable en gardant à l’esprit que tous ses actes impactent l’environnement. La biodiversité est un véritable outil pour le paysan !
Prendre soin de la Terre pour prendre soin des hommes
Il ne s’agit résolument pas de “faire la leçon” et de blâmer nos agriculteurs pour une situation qui émane davantage de l’application de politiques agricoles communes plutôt que de leur fait, lesquelles les ont souvent confrontés en première ligne à des difficultés financières et personnelles considérables.
Nous, consommateurs, pouvons contribuer à accélérer cette transition par nos actes d’achats : nous signifions aux acteurs de la filière alimentaire nos revendications environnementales et sociétales et notre engagement à sortir de la monoculture intensive. A titre d’exemple, L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (la FAO) rappelle que la permaculture et la polyculture offrent plus de rendement à l’hectare que l’agriculture conventionnelle. Par ailleurs, nous évoquions les difficultés voire la détresse que traversent des milliers d’agriculteurs ; or, ces alternatives au conventionnel qui replacent leur santé, leur bien-être et l’équilibre au centre des préoccupations ne peuvent que s’avérer salutaires : qu’elles fassent donc l’objet d’impulsions politiques !
A plus large échelle, c’est la santé de la population, dans son acception la plus globale, qui s’en trouverait renforcée. En effet, l’habitat et les activités humaines doivent être en harmonie avec les écosystèmes car notre santé est liée à la santé des animaux et de l’environnement : en protégeant notre monde naturel, nous nous protégeons également. Chez les humains, deux infections virales sur trois sont dues à des virus ayant pour source initiale un animal et la fin du XXe siècle et début du XXIe siècle a été marquée par l’apparition de nouveaux virus tels que le virus Ebola, le VIH et le SARS-Cov-2. La destruction des habitats naturels et l’étalement urbain favorisent la promiscuité et la prolifération des zoonoses, tandis que l’agriculture intensive a contribué à la propagation de virus tels que ceux du Nil occidental et du Nipah, l’élevage intensif la transmission des grippes porcine et aviaire aux humains. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 20 mars 2021, les chercheurs en écologie Jean-Marc Roda et Jacques Tassi estiment « qu’à la source de la déforestation et des pandémies, il y a une incapacité dramatique à entrevoir la misère d’une partie de la population mondiale. C’est la précarité rurale qui conduit les agriculteurs à convertir les forêts en terres agricoles et qui est à l’origine des zoonoses ».
Nous avons vu que les approches agro-écologiques visent à assurer au système global santé, efficacité et résilience : après le contexte sanitaire dans lequel nous avons évolué en 2020-2021, il convient de mettre en place des pratiques susceptibles de nous prémunir contre de futures crises.
En vert et contre tout
Il ne faut néanmoins pas se bercer d’illusions : mettre en place ces systèmes alternatifs à l’agriculture conventionnelle ou raisonnée dans les vignobles demande de repenser la configuration des exploitations viticoles. Les difficultés administratives ne sont pas étrangères aux vignerons et les vignerons qui se sont déjà lancés dans l’expérience nous ont averti : avec la législation actuelle, il faut être vigilant sur la déclaration administrative de ces surfaces aux services des douanes et aux syndicats d’appellation. A moins d’être déclaré en entreprise agricole et sous réserve de vérification, il est parfois nécessaire de déclarer séparément les différentes strates, arbres, vignes et animaux.
Introduire la biodiversité et changer la physionomie du paysage des vignobles au service d’une autre vision de la viticulture, en ajoutant tout ce qui pourrait être utile pour protéger la vigne et le sol, limiter les produits curatifs et favoriser la production de vins les plus authentiques et naturels possibles : voilà le point de contact de toutes ces approches évoquées ici, lesquelles partagent les mêmes projets d’écosystèmes résilients, fondés sur une vision holistique et sur l’utilisation intelligente et mesurée des ressources locales, pour le plus grand bénéfice des habitants.
Sans tendre vers l’exhaustivité, il s’agit surtout d’exposer ici leur complémentarité et de permettre de mieux s’y retrouver parmi ces catégories. Ainsi, tout ce qui est produit en biodynamie est bio, mais tout ce qui est bio n’atteint pas nécessairement les critères et exigences de la biodynamie. De même, agroforesterie, polyculture et permaculture se retrouvent sur certains points et partagent des visées qui relèvent de l’agroécologie, mais toutes les exploitations qui revendiquent une démarche agroécologique ne suivent pas nécessairement ces pratiques. En outre, la polyculture existe en agriculture conventionnelle, bio et biodynamique, de même que l’agroforesterie existe dans des formes conventionnelles bien que souvent en » agriculture raisonnée ». A noter également qu’il est possible de mener une monoculture certifiée bio et même biodynamie à condition de montrer que 10% de l’entreprise favorise la biodiversité avec l’intégration de haies, d’arbustes, d’arbres ou encore de nichoirs à oiseaux. L’agroécologie bannit les produits de synthèse et s’appuie dans son dispositif sur la polyculture, l’agroforesterie, la permaculture, les semences paysannes, la gestion des ressources et des déchets… Cependant, il n’existe pas encore de certification officielle pour ce mode de culture. Finalement, on retombe sur les catégories de l’agriculture conventionnelle, bio ou biodynamique et sur des rapports d’inclusion des pratiques menées sur les exploitations : tous les pouces sont des doigts mais tous les doigts ne sont pas des pouces !
Bio-diversité : tous les goûts sont dans le vin nature.
La biodiversité, c’est donc bien joli pour la planète, mais comment le consommateur la retrouve-t-il dans son verre et son assiette ? La biodiversité s’incarne finalement dans la grande diversité des produits du terroir, la richesse des goûts, des arômes et des saveurs, voire des sensations, que l’on peut éprouver parmi des produits qui appartiennent à la même catégorie, et pour revenir au vin, à la même appellation. Ainsi, la biodiversité est à l’opposé de la standardisation du goût que l’on doit à la viticulture conventionnelle et à l’agriculture intensive. La biodiversité permet l’expression pleine et entière de la nature : chaque terroir est unique, et quand le vigneron maintient dans son domaine/écosystème la diversité qui le caractérise, non seulement ce domaine est stable, fonctionnel et n’appelle pas l’usage de pesticides, herbicides et autres produits de synthèse, mais il est en outre enrichi, dynamique et permet au terroir de se révéler dans son vin.
Du reste, ce qui s’avère prodigieux pour l’amateur de vins natures, c’est de découvrir derrière la grande diversité de ces vins une variété de méthodes de production, une pluralité de pratiques qui convergent vers l’amélioration de la résilience des systèmes biologiques et de produire des bouteilles dans le respect du vivant. Il n’est plus rare de lire ces pratiques agricoles sur les contre-étiquettes. Il est passionnant d’entendre de la bouche du vigneron ou du caviste le récit de la fabrication d’une cuvée, de se représenter les détails du soin porté à la vigne, du paysage qui l’a vu naître, des choix effectués au chai, et de chercher dans le verre l’expression de ce terroir. La richesse des goûts, des textures et de l’énergie que nous offrent ces vins est à l’image de la diversité des histoires qui accompagnent leur naissance, à chaque millésime, et explique peut-être le supplément d’âme et d’émotion qu’ils nous procurent.
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Rédacteur : Bastien PESSEY
Sources
Sur internet :
Le site de la Fondation Nicolas Hulot regorge de ressources pédagogiques et didactiques pour approfondir le sujet : https://www.fondation-nicolas-hulot.org/agriculture-bio-permaculture-agroecologie-quelles-differences/
Le site Vins de Permaculture expose en détails et de manière très technique l’art et la méthode de la permaculture dans les vignes, avec des informations très précises sur les moyens et la logistique, par exemple du paillage et le semi de couvert végétal : https://vinsdepermaculture.fr/
La permaculture et l’agroforesterie ont leur chaîne Youtube ! La vidéo n°180 est consacrée à la vigne au jardin.
La chaîne TV Cultivons nous d’Edouard Bergeon propose de nombreux documentaires sur l’agriculture, ses pratiques et les produits que nous mangeons. Une démarche solidaire et sans publicité, sur l’agriculture en général, avec une section intitulée “Ce qu’on boit” dédiée à la filière viticole.
“L’agroforesterie appliquée à la viticulture bio” sur le site Produire bio
Fédération Nationale d’Agriculture Biologique : https://www.fnab.org/
Association Française d’Agroforesterie : https://www.agroforesterie.fr/index.php
Alain CANET, Directeur de l’association Arbre et Paysage 32 (Gers) engagé dans le Centre National d’Agroforesterie, a créé en 2020 l’association La Belle Vigne qui propose de venir en aide aux viticulteurs face aux défis liés aux changements climatiques : https://lbv-france.fr/
Ver de terre Production diffuse librement des contenus de formation de qualité, conçus avec des agronomes et des professionnels reconnus en agroécologie et propose des formations permettant aux agriculteurs de valider les compétences acquises : https://www.verdeterreprod.fr/
Ouvrages :
Vignes, vins et permaculture, Alain MALARD, France Agricole, Vigne Et Vin, août 2021
Le vin, la Vigne et la Biodynamie, Nicolas JOLY, Libre et solidaire, février 2021
Géopolitique de l’agriculture, Pierre BLANC et Sébastien ABIS, Eyrolles, 2020
Le Grand Précis des vins au naturel, Stéphane LAGORCE, Homo Habilis, 2019
Agroforesterie, Des arbres et des cultures, Christian DUPRAZ, France Agricole, 2019
Permaculture, guérir la Terre, nourrir les hommes, Perrine HERVÉ-GRUYER et Charles HERVÉ-GRUYER, Actes Sud, Les mots, 2017
Agriculture intensive et risques phytosanitaires, Arsène Ferrera BINGUIMALET, Univ Européenne, 2015
Domaines consultés :
Domaine Grosbois, Le Pressoir – 37220 PANZOULT, https://www.domaine-grosbois.com
Domaine Bernard Valette, Lieu-dit Le bois noir, 69480 LACHASSAGNE
Domaine Trapet, 53 route de Beaune, 21220 GEVREY-CHAMBERTIN, http://www.domaine-trapet.fr
Domaine de La Pousse d’Or ,Rue de la Chapelle, 21190 VOLNAY, https://lapoussedor.fr
1 commentaire
Très très bon article, ça explique tous ces termes un peu fastidieux sans perdre le lecteur. Et on fini l’article en ayant bien tout compris. Bravo