A l’évocation du nom de l’appellation Crozes-Hermitage, beaucoup imaginent cette plaine de galets roulés bordée par la nationale 7 et située au sud de Tain l’Hermitage, sur la rive gauche du Rhône. Cette projection, bien qu’en partie correcte, ne représente pas la complexité et la diversité du terrain. Le vignoble, qui s’étend sur 1964 hectares (chiffres de 2022) de Serves-sur-Rhône jusqu’à la confluence de l’Isère avec le Rhône au nord de Valence, cache une richesse sous-estimée, celle de ses terroirs. Cette mosaïque donne naissance, non pas à une unique signature, mais à une palette de vins aux profils variés et méconnus. Ce sont ces nuances que nous vous proposons de découvrir à travers cet article, afin d’appréhender toutes les subtilités de la plus grande appellation de la Vallée du Rhône septentrionale.
Zoom sur l’appellation Crozes-Hermitage
Naissance et expansion de l’appellation
En 1937, l’appellation Crozes-Hermitage voit le jour, marquant la reconnaissance officielle d’un vignoble déjà renommé. À cette époque, l’AOC se limitait à une seule commune, celle du même nom, Crozes-Hermitage. Point de plaine alluvionnaire sur ce premier territoire, celle qui pourtant domine tant l’image que l’on se fait de l’appellation aujourd’hui. C’est en 1952, compte tenu de la prospérité d’après-guerre et de la reconnaissance de la qualité de plusieurs secteurs situés plus au sud et déjà valorisés par les négociants, que l’aire classée est largement étendue. Elle englobe une zone jusqu’alors consacrée à l’arboriculture et s’agrandit pour inclure dix communes avoisinantes. Cette expansion implique une diversification de terroirs en intégrant notamment cette plaine des Châssis emblématique. Aujourd’hui, ce sont 11 communes qui délimitent l’appellation.
Entre vignobles et vergers : la double identité de Crozes-Hermitage
Historiquement, Crozes-Hermitage n’était pas uniquement un bastion viticole ; c’était aussi une région reconnue pour son arboriculture florissante. Et ces arbres fruitiers, bien qu’aujourd’hui moins omniprésents, ont laissé une empreinte indélébile sur le paysage, se mêlant souvent aux vignobles. Il n’est donc pas rare, lors d’une promenade au sein de l’appellation, de voir vergers et vignes se côtoyer.
La polyculture a longtemps été la norme dans cette région mêlant arboriculture et viticulture. Cette double activité marqua l’histoire unique de ce territoire, où se mêlaient abricot (dont le Bergeron, une variété native de la région), pêche et vigne pour la grande majorité des exploitations. Néanmoins, vers la fin du XXème siècle, plusieurs vignerons décident de se consacrer entièrement à la vigne, abandonnant les arbres fruitiers. Cette transition, considérée par certains comme radicale pour l’époque, a joué un rôle majeur dans l’évolution de l’appellation.
Les autres spécificités de l’appellation
L’appellation Crozes-Hermitage doit son caractère unique à un ensemble de facteurs, dont les cours d’eau qui jouent ici un rôle primordial. Le Rhône et l’Isère ont en effet façonné le paysage du territoire, sculptant ses vallées, déposant des galets roulés et enrichissant les sols de minéraux.
Sur le plan climatique, l’appellation bénéficie d’une situation privilégiée, avec des influences à la fois continentales et méditerranéennes. Cette dualité confère à la région une typicité propice à une viticulture de qualité.
En termes de cépages, la syrah domine pour les vins rouges, comme partout ailleurs en Vallée du Rhône septentrionale. Elle offre aux vins de la profondeur et des notes fruitées, épicées et parfois même de violette, une fleur très présente dans la région au mois de mars. Quant aux blancs, ils ne représentent seulement que 10% de l’ensemble de la production avec les cépages marsanne et roussanne. Deux variétés qui offrent généralement des vins aux notes florales et fruitées.
Comme pour d’autres AOC voisines, Crozes-Hermitage possède une originalité au sein de son cahier des charges. Il autorise l’ajout d’une faible proportion de raisins blancs (jusqu’à 15%) dans la production de vins rouges. Toutefois, cela implique que ces cépages blancs, marsanne et roussanne, soient plantés au milieu des parcelles de syrah. Cette complantation historique avait pour but d’introduire une touche de finesse et de complexité dans les vins rouges. Si cette pratique est autorisée par le cahier des charges, elle n’est, à notre connaissance, plus réellement mise en œuvre aujourd’hui sur l’appellation.
Les terroirs de l’appellation Crozes-Hermitage
La plaine de galets roulés : le visage connu
Lorsque l’on évoque Crozes-Hermitage, c’est donc souvent l’image de cette plaine d’alluvions caillouteuses qui vient à l’esprit. Située au sud de Tain-l’Hermitage et proche du 45ème parallèle, cette étendue, la plus grande de l’appellation, se distingue par son sol, parsemé de galets issus de l’érosion des massifs alpins proches. Elle bénéficie d’influences méditerranéennes plus franches, d’un bon ensoleillement et de températures moyennes à élevées. Sur ce terrain plat, peu de vignes sont conduites sur échalas, contrairement au reste de la région. On opte ici plutôt pour un « palissage plan relevé » et on taille en cordon de Royat.
Les vins élaborés sur cette plaine, essentiellement des vins rouges, se révèlent souvent charnus et généreux, aux notes de fruits mûrs. En bouche, ils se caractérisent par une belle rondeur qui les rend accessibles dès leur jeunesse.
Les terroirs méconnus : la face cachée de Crozes-Hermitage
Dirigeons-nous pour commencer vers le Sud-Est de l’appellation, autour des villages de Mercurol et Chanos-Curson. Ici, la plaine laisse place à des pentes douces, aux altitudes un peu plus élevées. Les sols y sont plus profonds et argileux, riches en fer. Certaines zones plus en hauteur sont quant à elle recouvertes de lœss, un limon calcaire très fin, déposé par le vent lors des phases glaciaires.
Pour admirer ce secteur, la tour de Mercurol est le point d’observation idéal. Elle offre un panorama sur l’ensemble de la région et de là partent des balades qui permettent d’explorer le vignoble et de surplomber un lieu dit bien connu de l’appellation, appelé les Pends.
Partons maintenant vers le Nord de l’AOC Crozes-Hermitage, où plusieurs terroirs très intéressants se côtoient. Plus frais et plus tardif, ce secteur englobe les communes d’Érôme, de Serves-sur-Rhône, de Gervans, de Crozes-Hermitage et de Larnage. Le vignoble se situe davantage en altitude par rapport au sud de l’appellation et les vignes y sont principalement érigées sur échalas et taillées en gobelet, les coteaux imposant ce mode de conduite ainsi que le travail manuel.
- Les hauteurs du village de Larnage: autour des ruines du château, sur les hauteurs du village, se déploie le terroir dit des terres blanches de Larnage. Niché sur des coteaux à 150 mètres d’altitude en moyenne, ce vignoble figure parmi l’un des plus anciens de l’appellation. Bénéficiant d’un microclimat, il s’étend sur des sols blanchâtres qui sont principalement composés de kaolin, une argile blanche très fine. Notons qu’une carrière de kaolin existe sur la commune de Larnage et que celui-ci est est notamment exploité pour la fabrication de fours réfractaires. Ces sols sont le résultat d’altérations granitiques survenues au cours des siècles. Un terroir qui confère aux vins beaucoup de finesse et d’élégance. Depuis le village de Larnage, une balade autour des ruines du château permet d’apprécier ce terroir exceptionnel. Vous pourrez notamment y observer ce sol si particulier tout en profitant d’une vue plongeante sur le Rhône et ses méandres qui file vers le sud.
- Les hauteurs des communes de Gervans et d’Erôme : ces coteaux marqués par leur forte inclinaison sont aménagés sur des terrasses soutenues par des murets traditionnels de pierre sèche. Le sol est composé de gneiss et de granit de Tournon, que l’on retrouve également à la fois sur la colline de l’Hermitage et les hauteurs de Tournon-sur-Rhône, de l’autre côté de la rive. Ce granit est issu des derniers contreforts du Massif central. Ces types de sols assurent un ancrage profond aux racines des vignes et confèrent aux vins rouges de la puissance, des tanins structurés et de la droiture. Pour découvrir ce terroir, une balade depuis le cœur du village vous permet de monter sur le lieu-dit de la “vitrine de Gervans”. De ce point de vue stratégique, vous pourrez admirer les coteaux escarpés du nord de l’appellation et profiter d’une vue s’étendant jusqu’aux Monts d’Ardèche.
- L’influence des loess : au nord de l’appellation, comme sur les hauteurs de Mercurol et de Chanos-Curson au Sud-Est, des zones se distinguent par leur placage de loess du quaternaire. Ici, on y cultive davantage de blancs car ces sédiments permettent une alimentation en eau plus continue. Ces loess, qu’on retrouve principalement en altitude, confèrent aux vins finesse et fraîcheur.
Le Belvédère des Méjeans, emblématique pour ses placages de loess, est accessible à pied ou en voiture. Il offre une vue panoramique sur le village de Crozes-Hermitage et le sud de l’appellation.
L’influence du climat, l’orientation des parcelles, l’altitude et, bien sûr, la composition des sols confèrent à chaque terroir de l’appellation Crozes-Hermitage une identité unique. Ainsi, au-delà de la simple image de la plaine de galets roulés, l’appellation se révèle être une mosaïque de terroirs, riche et variée, contribuant à la diversité et à la qualité des vins qu’elle produit.
Quelques cuvées coup de coeur pour découvrir la richesse et la diversité de l’appellation Crozes-Hermitage:
- Domaine de Laurent et Céline Fayolle, Clos Les Cornirets: un vin rouge en 100% Syrah dont les vignes sont implantées sur la commune de Crozes-Hermitage, sur coteaux granitiques.
- Domaine Delhomme, Kaolin (en conversion bio): un vin blanc 100% Roussanne issu de vignes provenant des “terres blanches de Larnage”.
- Domaine Michelas St Jemms, La Chasselière: un vin rouge en 100% Syrah provenant de vignes qui sont localisées sur deux secteurs distincts, le premier étant une parcelle au sud de l’appellation avec un sol argilo-calcaire très caillouteux et le second sur les terrasses de Mercurol, au Sud-Est de l’appellation, sur un sol argilo-calcaire également moins caillouteux et plus profond.
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