Troisième et dernier article sur la vallée du Rhône nord, après l’Éveil des cépages patrimoniaux et un focus sur la belle Crozes-Hermitage, zoom sur le domaine de Lorient. “Domaine” n’est franchement pas le terme le plus approprié pour présenter Lorient, exploitation retenue pour ce dernier texte de notre vadrouille en vallée du Rhône septentrionale. Ferme ou oasis sont les premiers mots qui viennent à l’esprit après une visite sur place. Un domaine sacrément investi dans l’agroécologie, perché à 550 mètres d’altitude avec vue sur le couloir rhodanien et plus loin le Vercors. Zoom sur Lorient, une ferme vigneronne créée par Laure Colombo et Dimitri Roulleau-Gallais qui fera de plus en plus parler d’elle dans les prochaines années, et on sait pourquoi !
Lorient, un autre Rhône
Démarrons par le cadre, l’environnement direct de ce lieu-dit de Lorient à Saint-Péray. Un endroit incroyable et pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour l’accès, il se mérite ! Il faut grimper de longues minutes en voiture par les coteaux des vignes de Cornas. Le domaine se trouve ensuite au bout d’une route sinueuse sur les hauteurs de Saint-Péray, une discrète appellation rhodanienne. Une fois arrivé, les sensations et les odeurs ne sont pas les mêmes que celles ressenties dans les magnifiques coteaux de Saint-Joseph, Condrieu ou Côte-Rôtie. Le paysage n’est pas ou peu viticole, Lorient est loin d’offrir un océan de vignes à perte de vue. Seuls 4 hectares sont plantés ici ou là, au beau milieu de forêts et de prairies ardéchoises. Bienvenue à Lorient, entre climats méditerranéen et continental.
Une parcelle de vigne, une prairie, encore quelques vignes, des bois et surtout une vue incroyable sur le Vercors. Les fameux Trois Becs drômois, la montagne du Glandasse et plus loin titillant l’horizon le splendide massif des Écrins, encore avec quelques sommets enneigés en ce plein mois de juillet. Lorient est à la frontière entre la descente vers les coteaux du Rhône et le plateau ardéchois, il regarde vers l’est, vers le soleil levant. Ce lieu-dit abrite donc un domaine viticole pas comme les autres, entre polyculture et élevage dans un écrin de nature à couper le souffle.
Lorient, des vignerons investis !
Installés depuis dix ans, Laure Colombo et Dimitri Roulleau-Gallais ont choisi le lieu-dit de Lorient, qui n’était alors qu’une vieille bâtisse perdue dans la nature. En balade pour nous montrer ses vignes et leurs particularités, Dimitri nous confiait que c’était l’endroit idéal, le lieu rêvé pour un couple qui a une idée derrière la tête : créer un éco-cocon – “Lorient avait tout ce qu’on voulait, de l’altitude pour nos vignes, sur un sol granitique et surtout beaucoup de nature d’un seul tenant”.
Alors en 2014, après une école de commerce, des expériences en Inde et aux Etats-Unis puis des études en viticulture – œnologie à Bordeaux et Montpellier, Laure Colombo fait le choix de créer son domaine. Avec son compagnon Dimitri, ils sont décidés à investir Lorient pour en faire une ferme, comme celles de nos anciens. Ils plantent des vignes, récupèrent ensuite d’autres parcelles, achètent des vaches, des brebis et des poules puis acquièrent des ruches pour faire du miel et plantent des arbres fruitiers, un fonctionnement en polyculture souvent prôné par les experts en agroécologie.
Aujourd’hui, le domaine produit de nombreux produits issus de sa ferme. Du vin bien-sûr, du miel, des jus de pommes de variétés anciennes, de l’huile d’olive, de la crème de marron, des amandes, des œufs, autant d’activités pour diversifier le domaine. Un gîte accueille même des touristes en quête de repos à quelques kilomètres de la voie de communication la plus utilisée de France.
Quelques hectares travaillés à la main
Les 7 hectares de vignes sont nichés sur les coteaux de Saint-Péray, Saint-Joseph et Cornas. 4 hectares de roussanne et de marsanne plantés par le couple autour la ferme en altitude. Laure et Dimitri ont également une parcelle sur Cornas pour la syrah ainsi qu’une autre sur Mauve en plein terroir de Saint-Joseph. Et un peu de Dureza, Mondeuse blanche et noire au-dessus de l’appellation Saint-Péray. Un “petit” vignoble qui suffit, intégralement travaillé à la main et certifié bio mais pas que…
L’agroécologie à Lorient, un exemple de ferme d’avenir
L’agroécologie est une histoire de transition car l’idéal d’une agriculture sans impact n’existe pas aujourd’hui (Alain Olivier – la Révolution Agroécologique Ed Ecosociété). Seule une poignée de paysans et de paysannes peuvent être considérés comme des exemples, les vignerons de Lorient en font partie.
Investir dans la vie des sols
Dans les vignes, Dimitri nous exposait sa gestion peu interventionniste sur les travaux du sol. Paillage pour les plantiers afin de limiter la concurrence avec les adventices et un couvert d’herbes indigènes dans les vignes, où le sol n’est pas travaillé. “Il faut accepter qu’il y ait une perte quelque part, tout est lié. Si je travaille le sol pour gagner en rendement, je dépense de l’argent dans un tracteur, l’essence et son entretien, sans parler du matériel pour griffer ou labourer. En laissant l’herbe, je perds un peu en rendement mais je gagne en vie et en matière organique, et je ne dépense pas pour le matériel”. Question amendement, le vigneron mise sur l’apport de paille, de couverts végétaux et de fumiers issus de son élevage – “l’humus est sans doute ce qu’il y a de plus cher sur terre”.
Vitiforesterie
Cultiver avec des arbres, des haies ou des arbustes dans et en dehors des vignes est une pratique qui se développe dans le paysage viticole français. Elle reste toutefois rare, il n’y a qu’à s’en rendre compte en se promenant dans les vignes. Disparus pour laisser davantage de place aux machines et ne pas faire concurrence aux vignes, l’arbre est sans doute l’élément sur lequel il faudra le plus compter à l’avenir, notamment dans un contexte de changement climatique toujours plus impactant. Sur leurs parcelles, Laure et Dimitri ont planté des arbres fruitiers et champêtres dans les vignes – “au-delà de l’ombre qu’ils apporteront, ils sont également autant de refuges pour les animaux, oiseaux en tête”.
Polyculture
La transition agroécologique est un changement de paradigme, une nouvelle philosophie. Mettre fin à la production intensive voire industrielle passe par redonner plus de richesse et de pouvoir aux domaines agricoles. Elles devraient se séparer d’un mode monoculture, risqué de nos jours, à un fonctionnement polyculture pour diversifier leur production. Souvent, les vignerons sont fiers de montrer leur oliveraie en plus de leur production viticole, une vraie fausse diversification à notre goût…
Au domaine de Lorient, on constate une véritable diversification de l’activité, une ferme est née. “L’idée de ferme éco-cocon a fait son chemin et aujourd’hui se concrétise de jour en jour” s’exprima Laure. Les vaches présentes au domaine ont toute leur place, elles nourrissent les sols avec leurs excréments, produisent du lait pour faire des yaourts, glaces et fromages, en plus des besoins en viande. “Notre production est vendue essentiellement au domaine” nous lança Dimitri après la dégustation…
Coup de coeur, la dégustation
Les vignerons produisent deux Saint-Péray, un Saint-Joseph et un Cornas en vinification naturelle. Des raisins évidemment récoltés à la main en caissette de 28 kg.
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Cornas 2021
Sur leur parcelle d’à peine un petit hectare naît ce fabuleux Cornas. Une vigne issue d’une sélection massale, vinifié en cuve béton dont une partie en grappe entière. S’ensuit un élevage de 9 mois en fût de chêne de tailles différentes puis 6 mois en cuve.
Un nez sur le thym, l’olive et la cerise noire, le millésime frais se ressent. Une bouche fermée qui demande une certaine aération afin de profiter de ce vin fin et élégant. Résultat, un grand vin de Cornas, taillé pour la garde.
Prix moyen : aux alentours des 50 euros chez les cavistes.
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