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La vie en Umami 

Par Mademoiselle Jaja | 2 juillet 2023 | La chronique de jaja | 1 commentaire

L’umami. Cinquième saveur paraît-il. Alors pourquoi est-ce si flou pour beaucoup d’entre nous ? Salé, sucré, acide, amer, on gère. Mais l’umami, mon amie… On a entendu que c’était la somme des quatre saveurs (suprême de nawak et son coulis). On a lu que c’était un concept japonais (naaan) ou encore le résultat du mijotage (pas que). Bref, on vous dit tout ici, de façon simple et ludique : sa raison d’être + comment le reconnaître + ce qu’il provoque en nous = c’est parti pour voir la vie (et le vin) en UMAMI !

Umami de la confusion dans les idées

Ah, les saveurs. Victimes elliptiques : “l’acide, c’est le citron t’as vu”. Spoliées sémantiques : “il a une saveur de framboise”. Car la confusion est permanente entre flaveurs (goût+odeur) et saveurs (sensation). Les notes aromatiques (flaveurs) sont des constatations individuelles : nos lieux de vie et habitudes de consommation vont dessiner notre catalogue sensoriel intime. Tandis que les saveurs ont des fonctions précises dans la survie de notre espèce et sont donc plus universelles.

Comment l’umami a changé nos vies

Comme la Nature est bien faite, la détection des saveurs est fondamentale car elle informe et conditionne nos choix :

salé = bon pour notre équilibre hydrique

sucré = source d’énergie rapide

acide = source de vitamines

amer = attention poison 

Pour être écoutées par nos têtes, les saveurs provoquent des réflexes et mécanismes divers : attrait particulier ou rejet, accélération de la digestion, stimulation. La détection de l’umami ne fait pas exception, le plaisir qu’elle procure nous amène à privilégier des aliments souvent riches en protéines = bon pour notre fonctionnement musculaire.

Histoire de bien programmer nos palais, l’umami est intelligemment présente à hautes doses dans le liquide amniotique puis le lait maternel. Autant dire que notre relation avec cette saveur est affective, viscérale, atavique. Viscérale car elle est détectée par la langue mais aussi par l’estomac. Elle met du temps à apparaître puis se développe, s’allonge et se prolonge. Elle augmente, surélève. C’est le panard, l’enclenchement de la pelleteuse, l’irrépressible envie de revenir au verre (ou à l’assiette). 

Voilà qui donne envie de faire connaissance. 

Les acidités

Mais qui qui qui a inventé l’umami ?

C’est physiologique, dac. Mais qui l’a formalisée et rendue disponible à nos cerveaux curieux et insatiables ? L’umami fut d’abord une intuition. Le magistrat et fervent gastronome Brillat-Savarin utilise dès 1826 le terme du chercheur Louis-Jacques Thénard : “osmazôme” et associe ces notions de concentration, rondeur et durabilité aux bouillons carnés. L’umami est en réalité présente aussi dans quelques aliments au naturel mais c’est déjà hautement perspicace. Au passage, notre répertoire culinaire classique est construit autour de sa quête : bouillon de volaille, fond de veau, cuisson mijotée… Le tout véhiculé, facilité et décuplé par le gras (beurre, crème, huile d’olive). On est dans le mille de nos fondamentaux nationaux.

Sauf qu’on palabre dans la Physiologie du Goût et quelques ouvrages de l’époque mais on ne plante pas le drapeau. Il faut attendre 1907 pour que le Dr Kikunae Ikeda formalise au Japon la découverte de la cinquième saveur. Bim, coiffés au poteau. Encore aujourd’hui, la nation peine à choisir son propre terme et comme tout commence par le langage, la compréhension de l’umami piétine. D’autant que, tout comme le vin, elle ne se laisse pas définir par sa composition. Il faut la lier à l’expérience humaine pour donner du sens au sujet. 

On vous épargne la décortication de sa composition, le tralala des acides aminés et la course aux bouillons (Maggi notamment) – bref, c’est seulement en 1985 que la cinquième saveur est présentée lors d’un symposium international (à Hawaï mais sans les chemises à fleurs).

Alors quelle convoitise suscite cette nouveauté, à une époque où seule une poignée d’initiés a ce niveau de curiosité ou de connaissances ? Celle de l’industrie agroalimentaire, œuf corse ! Ces génies mercantiles voient tout de suite le potentiel d’une saveur associée à la naissance, difficile à isoler mais irrésistible. On y travaille, on l’imite, grossièrement, on la vend et elle viendra assaisonner d’un bon mal de tête (et autres effets secondaires comme la “vision tunnel”) les sauces toutes prêtes de la restauration et autres chips bourrées de “glutamate monosodique”. C’est presque étonnant qu’elle soit absente de la liste interminable des ajouts possibles en oenologie moderne.

Do you speak umami ? 

En France, on connaît l’acide, du yaourt à nos jolis vinaigres. Le sucré, c’est okay depuis la tendre enfance. On maîtrise le salé sur le bout des doigts, couronné de plusieurs IGP (Guérande, Camargue, Ile de Ré). On commence à dompter notre réticence programmée envers l’amertume, notamment grâce à sa temporalité : elle est ressentie puissamment et en dernier par notre palais et constitue donc le véhicule de la longueur en bouche. Pour résumer, si t’aimes le vin, tu finiras par l’adorer.  

Et puis un jour, un gars ou une fille se met à parler d’un vin umami. Au-delà de la sapidité, l’intensité ou la longueur, il s’agit d’un autre sentiment. Silence consterné. Certains adhèrent tout de suite, sentant éclore une vérité encore confuse. D’autres rejettent en bloc, se moquent ou évitent de creuser ce qui remet en cause leur statut social ou professionnel (normal d’être moins flexible quand on a tout bien rangé dans des boîtes étroites pendant des décennies). 

Le mot, les chiens et la curiosité sont lâchés, il va maintenant falloir approfondir et comprendre pour expliquer : “Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ”, disait le mal-nommé Nico Boileau. 

Pour cerner l’umami sans s’agacer, il faut donc comprendre pourquoi c’est difficile ; donner des exemples ; et examiner nos sensations.

Où, quand et comment ressent-on l’umami ?

Lorsqu’on ingère, on ressent les goûts, les saveurs et les textures mais pas que. Un nerf crânien nous balance pas mal de sensations complémentaires : refroidissement (provoqué par les notes de menthol, anis…), picotement (CO², moutarde), anesthésie (poivre de sichuan) et rugosité (tannins). 

Autrement dit, siroter un verre de vin vivant, c’est déjà l’équivalent d’un cours de physique quantique… pendant que tu sculptes un grain de riz… sur un vélo elliptique. Environ la même difficulté qu’isoler la sensation umami du premier coup. 

Séquence trucs et astuces

Commençons par citer des aliments qui en sont riches. Parfois, ils sont déjà extra savoureux tout nus : tomate, champignon, asperge, ail, huître. Beaucoup sont protéinés et/ou concentrés par la fermentation, la maturation, le séchage ou les cuissons longues : bouillon de viandes ou d’algues, olives, jambon cru, sardines, parmesan ou comté vieux, sauce soja. Voilà l’écueil supplémentaire, isoler cette saveur dans des aliments qui sont également riches (ou enrichis) en sel ou en gras. 

Alors décortiquons nos sensations palatales, ce que fait à merveille le département des neurosciences à l’institut Pasteur. La clé est à portée de main : la TEMPORALITE, mes enfaaaaants (RIP Jean-Pierre Coffe). Soudain, tout s’éclaire. 

  • Le salé et l’acide sont immédiats, parfois même explosifs mais relativement courts (on va re-saler le plat ; la salivation va gommer l’acidité)
  • L’amertume démarre plus lentement, culmine et dure
  • L’umami est un peu moins longue mais très proche, elle arrive gentiment, s’étire, culmine, c’est intense et ça dure (viens là mon bol de ramen, finalement j’ai encore une ‘tite place) 

Très facile à reproduire à la maison pour observer la succession de nos sensations avec quelques grains de sel, de sucre, quelques gouttes de citron, un beau zeste de pamplemousse rose et un miso artisanal. 

L’umami : langue et langage

Côté langue, je remercie celui qui m’a mis l’umami pendant des heures, comme dirait Joey l’étoile. Le chef Bruno Verjus, lui aussi étoilé et prédestiné à nous parler des saveurs, m’a reçue pour une interview. Sa cuisine concentrée, puissante, aussi empirique que raffinée – et les boissons incroyables (vins, sakés, bières) choisis par la sommelière Agnese – permettaient de toucher du palais l’umami. 

Côté langage, le “savoureux”, le “délicieux” ou encore le “reviens-y” sont sur la table mais n’ont pas conquis tous les cœurs. Pour info et en scoop, il va bien falloir choisir un terme ou adopter umami car deux autres saveurs sont en cours de formalisation et arrivent bientôt dans nos cerveaux : le calcium et le gras (dont Aristote parlait déjà). 

L’état des connaissances actuelles (= La Science) est encore limité sur l’origine de la cinquième saveur dans les vins mais on constate qu’elle serait plus présente dans les vins vivants, particulièrement les vins oranges ; révélée par certains élevages (amphore) ou simplement par l’âge (vive les millésimes évolués) ; facilitée par les terroirs de granite (team Beaujolais), de spilite ou rhyolite (team Loire) ; accentuée par l’élevage sur lies… A la condition expresse, explique le neurobiologiste Gabriel Lepousez, de ne pas ajouter de “substances améliorantes” susceptibles d’annihiler notre Précieux (acide tartrique de labo par exemple, autorisé en vinification conventionnelle et bio ; levures exogènes gourmandes en glutamates). A condition aussi de cesser enfin de filtrer les vins systématiquement et à outrance, dans une quête de limpidité dénuée de sens.

L’umami, des vins accélérateurs de cœur ? 

L’umami peut donc nous rendre heureux, riches et peut-être même faire revenir ton voisin sexy (argument non soumis à obligation contractuelle). L’umami, c’est surtout une pièce cruciale du puzzle gastronomique mondial : celui de la préservation des aliments, comme une récompense réservée à la fourmi.

Du mafé à la blanquette en passant par le mole, de la colatura au nuoc-mâm ou au ketchup, du thé vert aux Syrah bien mûres d’Australie… Chaque continent apporte sa pierre à l’édifice. Le mont umami est finalement une grimpette instinctive, plus innée qu’acquise, une saveur que nous portons en nous. Mieux encore : tantôt généreuse, tantôt snob, elle disparaît des “vins” traficotés, se fait rare dans les fruits et légumes hors saison ou hors sol… Et nous emmène au contraire irrépressiblement vers les nutriments de pleine terre, le temps accordé à la vinification, les raisins de cuve à pleine maturité, les énergies vibratoires des vins vrais. 

Il arrive un moment où l’on accepte, comme on parvient au sommet d’une montagne, que chaque vin vivant (issu de sols respectés), procure un plaisir immense, au-delà du goût personnel et du goût du vin, pour peu qu’on l’écoute – comme on rencontre avec attention et bienveillance, un Humain. 

On a longtemps douté, pensé que son histoire était moins riche que celle des quatre premières saveurs explorées. Même s’il existe des interactions, l’umami n’est finalement pas la somme des quatre mais il faut reconnaître qu’elle se situe très à part, en ressenti et en conséquence pour l’Humain. Pour la reconnaître, il faut se poser, s’apercevoir de percevoir. Remède anti-stress, elle nous impose de prêter attention au monde, à sa source et encourage donc une certaine idée du vin ou du repas : accueil, réceptivité, écoute et par là même – savourer plutôt qu’engloutir. Consommer moins mais mieux. Rien d’étonnant à notre engouement pour elle, treize ans seulement après l’ajout du « repas gastronomique des Français » au patrimoine culturel immatériel de l’humanité (une catégorie créée par l’UNESCO pour protéger les pratiques et savoir-faire traditionnels). 

De nombreux penseurs et passeurs de Vins comparent la fermentation alcoolique à une forme de mort puis de résurrection qui permettrait ensuite au vin de tendre vers l’éternité. Dans notre rapport de conquête et de domination avec la Nature, dans notre vision actuelle du progrès parfois incompatible avec la qualité, il s’agit pour une fois de ralentir et de nous abandonner.

Les vins d’émotion ne sont finalement pas une invention de poète ni d’esthète. Il est question d’authenticité, de naturalité et peut-être même de spiritualité : un sentiment indépendant de la matière. L’engouement pour les vins vivants, les vins oranges (taxés d’effets de mode) ne serait-il en réalité qu’une quête de plaisir ? L’umami serait alors bien plus qu’une saveur : une part de bonheur.

Sources, citations & remerciements :

Coups de cœur umami liquides : cuvée “Silice” de Germain Croisille, cuvée “Alsace Complantation” de Marcel Deiss, cuvée “Beaulieu” du Château de la Selve, cuvée “Orea” du domaine Inebriati, cuvée “En noir et blanc” du domaine Clovallon…

Coups de cœur umami solides : les tomates “groseille” en pleine saison, mes sardines lisboètes ouvertes après 7 ans, le miso de potiron de ma voisine

Merci à Gabriel Lepousez, neurobiologiste à l’institut Pasteur, d’avoir répondu patiemment à mes questions de geekette et merci à la formation Franck Thomas d’avoir organisé cette rencontre pour ses formateur.ices

Merci à Bruno Quenioux pour nos conversations philosophiques 

Merci à Bruno Verjus pour sa générosité et de m’avoir infusée de sa passion nappante

La Physiologie du Goût de Brillat-Savarin fut publiée en 1825 et constitue donc l’œuvre de toute une vie (1755-1826)

Nicolas Boileau Despréaux, homme de lettres français du Grand Siècle (1636-1711) 

Sinon tu peux aussi réécouter l’épisode du podcast Nibunientendu chez Table : https://podcast.ausha.co/ni-bu-ni-entendu/la-degustation-ep-6-l-umami

En étudiant la structure des récepteurs à umami, on s’est aperçu que les testicules y sont également sensibles, pour des raisons de fertilité ; Le bouillon Maggi, utilisé à toutes les sauces sur le continent africain y est parfois baptisé “aide-à-maman” ; Bref : pour faciliter la compréhension et la fluidité, cet article a été tronqué d’informations passionnantes, n’hésite pas à publier tes questions en commentaire !

1 commentaire

  • Avatar robin dit :

    très interessant cet article, je travaille pour les vignerons du muscadet at nous aimerions creuser ce sujet avec des experts car notre aoc semble révéler cette subtile 5ème saveur.

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