Infâmeuse : piqué à l’angliche “infamous” : tristement célèbre pour de mauvaises raisons
Le 17 octobre dernier s’achevait la dernière Foire d’automne en grande distribution.
Pour vous, c’est devenu un « marronnier ». Mais pour les professionnel.les du vin, c’est une épreuve de gymnastique diplomatique.
Les « anti » ne veulent froisser personne mais la crispation s’observe sur leur visage à la simple évocation de l’infâme événement.
Les « pro » tentent de rassembler autour de ce fameux temps fort qui, pour eux, n’a rien d’une entourloupe.
Bas de gamme pour certains consommateurs, miraculeux pour d’autres, les Foires aux vins déchaînent les imaginaires chaque année.
C’est pourtant sans armure ni bouclier, au-delà des clichés et des idées reçues, que nous avons sillonné Paris pour vendanger les arguments des « professionnels de la profession » et de leurs habitués.
Commençons par les combines déloyales de la grande distribution : se procurer par des moyens détournés, quelques bouteilles de domaines connus pour leur travail soigné et leurs vins pleins de vie, afin d’en exploiter l’image comme tête d’affiche.
Une palette vertueuse = un greenwashing offert !
Une fois arrivés sur les lieux du crime, on vous annoncera qu’il « n’y en a plus, mais que par contre… ». Vous avez fait le déplacement, vous ne repartirez pas les mains vides.
Chemin faisant, l’idée sera semée en vous que décidément, il est possible de dénicher des pépites au supermarché.
Pour ces vigneron.nes souvent engagé.es et toujours dévoué.es à leurs vignes, c’est une offense majeure. Chaque année d’ailleurs, on voit passer sur les réseaux, des messages de domaines alertés par leurs amis et démentant tout accord pour figurer au catalogue de ces machines commerciales très loin de leur vision du monde et du vin.
Au-delà de ces pratiques retorses, que pensent vraiment les observateur.ices des FAV ?
…Attention, certains passages vont picoter !
« La FAV, c’est la GD – et la GD est un fléau »
Philippe Cuq, gérant du Lieu du Vin (3 avenue Gambetta, Paris 20ème)
De ses années comme consultant pour la Grande Distribution, Philippe a gardé un mal à l’âme.
Il se décrit d’ailleurs comme un passionné du métier (de caviste) et surtout pas un « commerçant ».
Pour lui, la FAV n’est rien d’autre qu’une opportunité de se débarrasser de bouteilles improprement conservées.
Il nous décrit (et vous en apprendrez davantage encore sur son blog), les conditions de stockage de ces produits fragiles par les géants du commerce : « ce cancer qui gangrène notre société ».
Palettes en plein soleil, stockage avec des produits odorants et autres traitements par-dessus-la-jambistes.
Profondément engagé, Philippe défend l’artisanat, des revenus corrects pour les créateur.ices des bouteilles qu’il choisit. Il ne s’imagine donc pas imiter leurs pratiques et demander à ses vigneron.nes de soutenir l’effort commercial qu’entraînent ces prix chocs.
Certes, des marges ridicules pour des volumes impressionnants permettent aussi d’organiser ces fameuses foires mais le service et le produit y sont à la hauteur du prix, « comme tout dans la vie… ».
« Les conditions de sélection et d’achat du vin sont tout aussi déterminantes dans le plaisir qu’il nous procurera »
Bruno Quenioux, gérant de PhiloVino (6 place d’Estienne d’Orves, Paris 9ème)
La grille de lecture de Bruno ferait pâlir n’importe quel système anglo-saxon déterminé à décrire le vin avec 30 mots regroupés en 3 familles d’arômes.
D’abord, ce philosophe du vin parle d’accueil et non d’analyse. L’analyse induit le jugement, tandis que l’accueil se met au service du vivant : que ressentez-vous ? Que provoque ce vin en vous ?
Seules l’humilité du vigneron et l’écoute attentive de la nature et du terroir aboutiront à un vin empli de « lumière ». Un vin qui vous touchera, évoquera des images, une énergie – plutôt que la griotte ou le citron.
Un discours qui tend à nous faire changer de paradigme, à renoncer à une vision intellectuelle du vin mais à rechercher une ouverture sensorielle, un niveau de perception intuitif.
Bruno nous rappelle que le vin figure dans bien des religions comme élément mystique et que les écrits grecs nous laissent à espérer bien autre chose que la saoulerie dans nos flacons choisis. La recherche de l’ivresse, définition de l’époque d’une certaine euphorie et vérité.
Selon la même logique, si le vin devient un outil marketing destiné à booster un chiffre d’affaires ; s’il est manipulé ou vendu de façon peu scrupuleuse, peu attentive, peu amoureuse, il s’en trouve terni. La dégustation ne peut donc en être que décevante.
« La FAV n’est pas adaptée aux vins naturels… ni l’inverse »
Julien, fils de vignerons champenois, prête main forte aux Vins Vivants Richer (41 rue Richer, Paris 9ème)
Encore une vitrine désespérante de simplicité : pas d’écoblanchiment (en bon francoys).
Ici aussi, tous les vins sont « vivants » ce qui rend tout panneau superflu. Point de pourcent alléchant. Zéro bouteille offerte pour trois achetées…
Pour lui, le modèle commercial de la FAV n’est pas applicable à la vente de vins au naturel.
Le geste commercial est spontané, le conseil avisé tient d’un bon tuyau aux canassons, on est fier d’expliquer ce qu’on vous a dégoté. Et les marges raisonnables à l’année devraient suffire à prouver le sérieux du professionnel.
Quant à l’argument de vendre à prix réduit des articles n’ayant pas trouvé preneur, il perd son sens dans cette structure composée de plusieurs boutiques. Il devient beaucoup plus simple de répartir les stocks, si les vins proposés n’étaient pas déjà si prisés.
Plutôt que créer un besoin, la logique est donc de coller à ceux de leur clientèle : ils sont donc plutôt enclins à offrir des promotions sur les spiritueux au moment de la Fête des Pères par exemple, en réduisant leur propre marge.
« Au début on me posait la question. J’en ai vexé quelques-uns ! Maintenant, plus aucun client ne l’évoque »
Paco Mora, gérant de La Cave d’Ivry (40 rue Marat, Ivry-sur-Seine)
Rien que le nom de rue donne le ton du franc-parler de Paco : « Je suis installé depuis 19 ans. Ça fait environ 16 ans qu’on ne me pose plus la question de la Foire aux vins ».
Paco travaille en flux tendu. Quand il estime qu’une cuvée traverse une phase décevante, il attend qu’elle ait retrouvé l’harmonie pour la remettre en vente. Il goûte, écoute, s’adapte aux humeurs de ces jus vivants. Il pratique même régulièrement la garde, offrant d’autres sensations, des arômes d’évolution plus complexes à une clientèle fidèle.
On est loin des conditions de stockage de la grande distribution, dont il nous explique qu’elles déterminent effectivement l’urgence de vendre certains vins.
Ici le vin est un échange culturel, le client est à l’affût d’une nouveauté ou d’un classique, il n’achète pas un prix mais choisit un moment de plaisir.
S’évertuant toute l’année à protéger le fruit du labeur des vigneron.nes dont il est la vitrine, l’effet promotion ne concerne Paco ni de près ni de loin.
« …La quoi ? »
Alexandra Guichard, caviste aux Caves de Reuilly (11 bd de Reuilly, Paris 12ème)
Alexandra lève un sourcil et on a déjà compris.
Fille de vignerons, Alexandra et son caractère bien trempé quittent le Languedoc natal pour Paris à 22 ans, il y a 4 ans déjà. Sa passion et ses connaissances techniques, elle les met au service des vins vivants.
Ayant quitté le domaine familial par aversion pour l’agriculture conventionnelle, elle ne s’imagine pas promouvoir un événement qui n’a de sens que lorsqu’on ne peut pas garder le vin – ou qu’il est trop médiocre pour tenter l’exercice.
Alexandra nous parle des vins “techno”, ces constructions fragiles à base d’additifs et méthodes diverses pour charmer et qui s’écroulent dans le temps, celui d’un repas et a fortiori celui de la garde.
C’est une ancienne des Caves du Panthéon, où le gérant Olivier Roblin pratique justement la garde de grands domaines pour offrir à ses clients ses conditions idéales de stockage et une évolution sous haute surveillance. On l’aime aussi Nouveau, mais là-bas quelques Beaujolais de Lapalu 2009 nous font de l’œil en bout de rangée…
« C’est une bonne manière de booster certains mois plus moroses et de se rapprocher de notre clientèle »
Mélinda, caviste à La Cave des Climats (35 rue de Verneuil, Paris 7ème)
Serge, es-tu là ? On pense à Victor Hugo aussi : « La pensée est un vin dont les rêveurs sont ivres ».
La rencontre avec Mélinda nous emmène vers un autre chemin de pensée. La réconciliation d’une clientèle classique et de la ferme intention de soutenir les vignerons plutôt que leur imposer des prix toujours plus bas.
L’an dernier, 22 vigneron.nes ont été mis à l’honneur à l’occasion de la FAV. Pas au hasard mais au mérite. Choisis pour les distinctions obtenues dans divers concours ou néo appellations, ces jeunes talents se déplacent pour présenter leur travail à la clientèle de cette cave hautement bourguignophile.
Mélinda nous conte les années antérieures, leur Foire aux Vigneronnes par exemple. Une vision contemporaine d’une vieille invention mercantile.
On la tient, la vision intermédiaire, refusant de décevoir une clientèle culturellement habituée à ce temps fort mais où les promotions d’environ 15% sont financées par la cave.
« La FAV est un moyen de faire de la place pour coller aux appétences de la clientèle »
Erika Biswell, courtière en vins (Paris)
Une curiosité dévorante a fait d’Erika une fine observatrice des tendances du marché, dont les foires sont pour elle un indicateur fort. L’échange avec cette Colombienne tombée en amour pour le vin est enrichissant.
Erika admire l’esprit moderne de certains magasins qui placent face à face un comptoir FAV et un comptoir Foire aux Bières (FAB donc, c’est cadeau…). L’idée séduit car quelle que soit l’intention, il en résulte que plusieurs générations peuvent devenir ensemble, le temps d’un jour, leur propre trader.
Monoprix en est un exemple et elle observe avec intérêt les nouveaux choix plus modernes et favorisant le bio, sous l’impulsion de nouvelles directrices des achats.
On rappelle que 70% des emplettes (au « pays du vin » !) se déroulent encore en grande distribution. Un chiffre qui ne peut continuer de baisser que si les cavistes indépendant.es et autres petits acteurs du vin gardent le dialogue ouvert avec les enfants, voisins, collègues de cette clientèle.
Ce qui lui semble légitime aussi, c’est de calquer au mieux les envies des consommateur.ices. Et pour cela, il faut de la place. C’est donc aussi l’occasion de proposer des appellations ou régions moins prisées sur l’année, avant de faire rentrer de nouvelles coqueluches.
L’appellation Chablis par exemple, moins prisée ces deux dernières années, était bien représentée lors des dernières foires.
Erika cite aussi Lavinia, une cave dont la proposition est de stocker 6500 références du monde entier. La FAV est une opportunité de mettre en avant des appellations moins connues tout en libérant de la place.
En grande surface aussi, l’engouement pour les appellations plus inédites commence à se faire sentir. Le budget prime, mais la découverte part de la même ouverture culturelle.
C’est un autre exercice, on se prend au jeu, on épluche les catalogues. Ce ne sont peut-être pas des vins d’auteur, mais la démarche des consommateurs est sincère.
Enfin, pour bon nombre de cavistes en région, les foires servent aussi à lisser le chiffre d’affaires de mois traditionnellement plus austères (welcome les impôts et le ticket dithyrambique des vacances).
« Saviez-vous que le Covid avait empêché les restaurateurs de s’emparer des belles bouteilles, tout à coup disponibles aux naïfs et chanceux particuliers ? A vos caddies ! »
La presse nationale (France)
L’absence de connaissances formelles n’a jamais empêché la moindre rédaction de nous abreuver de bons conseils et autres fines analyses, susurrées par quelque lobby du vin techno.
En 2020, on nous a donc refait le coup de l’effet millésime (« L’année dernière ? Superbe ! Et celle-ci ? Ah celle-ci tient du miracle. Si j’étais vous… »).
Cette ritournelle familière reste un refrain sans couplets. Nul argument ne nous a convaincus des conclusions tirées.
En effet, si les vins conventionnels au sulfitage aussi abondant que controversé tiennent dans le temps (voire dans l’espace) ; Si contrairement aux vins naturels, leur garde est irréprochable (ici plus de spoiler, c’est honteusement faux) ; Comment expliquer alors ces incitations à se ruer sur des bouteilles encore trop jeunes pour offrir une dégustation savoureuse ?
On met l’accent sur des régions prestigieuses mais dont l’attachement désespérant à l’élevage en fût de chêne neuf ne saurait être qualifié de subtil.
Or on sait que la tendance de consommation est vraiment à la hâte plutôt qu’à la patience. Partout sur les réseaux sociaux s’affichent des bébés bordelais et autres adolescents bourguignons, « goulotés » bien trop tôt.
Mais si (sérum de vérité à l’appui) vous avez réellement l’intention et les conditions pour conserver ces bouteilles, rien ne vous empêche de tenter l’expérience.
On s’étonne tout de même, au rythme où ont officié les cavistes indépendant.es durant toute la crise sanitaire, grâce à la détermination massive des consomm’acteur.ices à faire vivre les petits commerces et artisans, d’entendre causer de bonnes affaires encore en vue.
Se pourrait-il qu’en temps de crise, nous cherchions du sens et du goût ? Au détriment de plateformes de produits standardisés qui tentent brillamment de transformer ce phénomène en succès commercial à retardement ?
Conclusion déloyale, snob et engagée
A l’écoute de ces points de vue divergents, il apparaît que les Foires aux Vins sont aussi questionnables que les produits eux-mêmes.
A un certain niveau de prix, il faut s’interroger sur ce que nous nous apprêtons à faire glisser dans nos gosiers.
Avons-nous encore besoin de scandales alimentaires pour comprendre qu’un prix bas nous renseigne sur les raccourcis qualitatifs et les conditions de vie des petits producteurs en bout de chaîne ?
Combien de temps encore, aurons-nous la schizophrénie de déplorer une économie moribonde, tandis que nous achetons aux plus riches et boudons les artisans jugés trop chers (puisque comparés aux propositions inégalables de la GD) ?
J’ose affirmer que 5€, c’est atrocement cher pour une bouteille à la sapidité brisée par les sulfites, au goût vampirisé par les copeaux de bois, saupoudrée de pesticides et autres intrants et dont le seul espoir de liesse tient à la quantité que nous ingurgiterons.
Résistons camarades (ça se bolchevise), à l’excitation malsaine et trompeuse de la chasse au trésor.
A la conviction naïve que nous serons les premiers ou les seuls à profiter d’une aubaine.
Au renoncement de sacrifier le goût et le plaisir au prix, toujours le prix.
Il est difficile mais possible de résister aux effets d’annonce et aux réflexes spontanés dont se nourrit la GD.
Les cavistes indépendant.es aussi, ont des petits prix à vous proposer. Si le plaisir est au rendez-vous, alors on peut réellement commencer à parler de bonnes affaires.
D’ailleurs, allons plus loin : quel est le coût de revient des produits de grande distribution ? Celui des fabrications paysannes ? Qui pratique le prix le plus juste ?
Si l’argument du prix reste aussi fort chez les consommateurs, c’est bien souvent parce qu’ils ne soupçonnent pas qu’à budget égal, ils trouveront chez le caviste une bouteille fabriquée dans l’authenticité et le respect de nos ressources.
Je poursuis (cramponnez-vous chers directeurs). Si nous cessions d’acheter et de promouvoir (pour les instagrameurs parmi nous) des cuvées responsables de l’épuisement progressif mais constaté de nos sols ; Si nous boudions le petit prix du raccourci cancérigène, au profit de la qualité et du soin ; Se pourrait-il qu’après un temps de latence, nous devenions collectivement plus riches et en meilleure santé ? Remplissant les caisses de familles entières, au lieu d’enrichir toujours plus les dirigeants de groupes boulimiques ?
Pourquoi ne pas simplement cesser de bourrer nos frigos insipides de fraises et tomates cultivées sur fibres de coco, de saturer nos caves des mêmes vins « technologiques », fabriqués aussi rapidement que l’on souhaite les écouler. Hors du temps, hors des traditions, hors du vivant.
La Cave – voilà où se forme le vin, son idée, voici là où l’échange et la transmission ont cours. D’où l’on ressort nourri mais jamais rassasié, connaissant un peu plus une région, un cépage…
Il n’est pas forcément contradictoire d’y trouver de belles opérations de communication.
Mais là où la grande distribution nous amène à la surconsommation de sous-aliments et à l’appât du bon plan, les acteur.ices indépendant.es du vin se veulent la vitrine de mouvements plus goûteux. Ce qui par chance, est hautement compatible avec un engagement vertueux.
Il est temps d’écarter les complexes sociaux et autres suspicions de boboïsme pour nous adonner à une relation plus exigeante, avec l’Humain et avec le Vin.
Comme beaucoup de sujets controversés, la démarche naît d’une intention et cette intention peut aboutir à un vrai moment d’échange – ou à l’assouvissement d’instincts mercantiles.
Les questions restent les mêmes à chaque achat : veut-on en avoir pour son argent ? Rien de plus et parfois moins. Ou en avoir pour son plaisir ?
Le pouvoir est-il dans les urnes ou dans nos bouteilles ?
Finalement, ces avis tranchés et divergents nous auront rapprochés autour des mêmes valeurs : le Bon, le Beau et le Brut.
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Rédactrice : Mademoiselle Jaja
1 commentaire
Article bavard qui manie un peu trop facilement les circonvolutions pour brasser beaucoup d’air et nous servir une vision manichéenne et caricaturale de la problématique des FAV.
Au lieu de nous réchauffer votre pensée boboiste, il eût été pertinent de vous renseigner sur les nouvelles évolutions des FAV ,qui je le reconnais ne sont pas exemptes de critiques…
À l’inverse, le petit monde merveilleux des cavistes compte aussi ses mauvaises pratiques que vous êtes moins à même de dénoncer, en raison sûrement de votre posture idéologique….
Et puis de grâce! Revoyez votre style… alourdi de pompeux effets stylistiques qui masquent à grand peine l’articialité du fond et votre méconnaissance du sujet.