À l’heure où la déesse tension abhorre le dieu saccharose. Au temps où les prophètes du goût tentèrent et tentent (campant sur leurs positions), dans une presque acclamation, d’édicter leur savoir ban(c)al, jouant tantôt aux météorologues tantôt aux géologues face à un vin, une aire d’appellation, un vigneron, une ineptie. Qu’on ne s’y méprenne, nous pourrions affubler ces gourous bacchusiens de tant de sobriquets que la richesse de la langue française vous apparaîtrait insondable ; mais enfin, notre savoir-être nous sermonne sournoisement à l’instar de notre savoir-boire. Savoir-boire, dit ainsi, cela a des allures d’homélies sectaires. Il n’en est rien car, voyez-vous, savoir boire, c’est se situer entre l’inné et l’acquis, retrouvant l’un et semant l’autre, je vous laisse deviner qui de l’œuf ou de la poule. En somme, savoir ce que l’on boit est déjà une connaissance en l’espèce. Savez-vous donc ce qu’est le Jurançon ?
Oui, longue préface à visée de destruction, déconstruire l’idée même de ce que l’on pense savoir sur ce que nous n’avons jamais bu.
Le jurançon est victime, comme nombre d’autres aires viticoles ou cépages, de la rudesse des idées reçues, mères de l’ignarerie permettant l’émergence des sus-cités prédicateurs.
Le jurançon, qu’est-ce ?
Voici une mise en lumière en entonnoir.
C’est donc une AOC connue pour ses vins moelleux depuis 1936 (non besoin de rappeler que c’est l’année de l’apparition des premières abominations, euh appellations), et ayant gagné ses lettres de noblesse depuis que notre hédoniste Henri IV fut baptisé au Château de Pau à l’aide d’une goutte de ce nectar surnommé par Colette « prince enflammé, impérieux, traître comme tous les séducteurs » et d’une gousse d’ail ; la messe est dite.
L’AOC Jurançon Vendanges Tardives fut reconnue en 1996.
Jusque-là je ne vous fournis qu’un vaste vernis sociétal oiseux, qui est loin de vous surprendre ou de vous impressionner. Loin de moi l’idée saugrenue de porter la maternité de l’une de ces réactions ; laissant cet humble privilège au vin en, et pour lui-même.
Je viens plus certainement renforcer vos croyances d’esthètes tendant à vous représenter ce vignoble comme producteur exclusif de sucre.
Que nenni !
En 1975, naquit l’AOC mettant en exergue les vins secs, qui émergea sous le sein(g) de vignerons engagés et de caves coopératives visant le respect des typicités (mention spéciale pour celle de Gan).
Sésame, ouvre-toi !
Soyons poussifs, et abusons de votre patience le temps de vous abreuver sporadiquement de quelques notions élémentaires.
Donc le vignoble du Jurançon est situé au cœur du piémont pyrénéen dans la région viticole la plus éclectique et vaste de France, le Sud-Ouest, qui recouvre pas moins de 10 départements.
Il s’avère être aussi au sud-ouest de la ville de Pau.
Quelques notions clés sur le Jurançon et ne se voulant pas barbantes :
Superficie : un peu plus de 1300 hectares
Altitude : environ 300 mètres
Climat : océanique avec des influences continentales et montagnardes
Sols /sous-sols : disclaimer pour les mordus de cailloux, ou les dendrophiles penchant pour le jurassique :
- des sols argileux à galets calcaires à l’est de l’aire d’appellation sur les formations de poudingue de Jurançon.
- des sols gréseux ou calcaires, souvent argileux au sud de l’aire d’appellation sur la formation de flysch altéré.
- des sols argileux et pierreux et des sols de boulbènes à l’ouest où les formations sont diverses.
Production : chiffres incertains : plus de 50 000 hectolitres.
Caractéristiques « uniques » : très importante pluviométrie annuelle, influence du Fœhn, vent sec et chaud soufflant de l’automne à l’hiver.
Cépages : Petit Manseng, Gros Manseng, Petit Courbu, et autres cépages modestes (expression empruntée à André Deyrieux, auteur d’un ouvrage à cette effigie) comme le Claverie, le Camaralet, le Baroque, la Penouille, le Lauzet, le Blanc Dame… moyenâgeuses consonances, diantre !
Communes concernées : 25 sont regroupées dans l’appellation, nous ne retiendrons pour le clin d’œil que Gan, Monein, Lucq-de-Béarn, Laroin, Aubertin et Jurançon.
Vous ne lirez sous-jacemment dans cette sélection communale qu’une forte propension en faveur de vignerons nichés dans ces petits bouts de paradis pyrénéens. Affaire à suivre.
Histoire d’amener un peu de poésie anti-barbari(sm)e estudiantin, et de lever le glaive devant toute forme de capucinade, voici ce que nous pouvons retenir des ces caractéristiques.
Tombera en pâmoison toute personne sujette au beau, au sauvage, à l’indomptable, face à ces paysages jurançonnais, plus particulièrement face au panel de couleurs luxuriantes, verdoyantes, chatoyantes rappelant la grandeur de Babylone (tiens tiens).
Yves Legrand eut dit quelque chose de lumineux sur les cépages modestes et endémiques que l’on oppose inextricablement aux cépages dits nobles, créateurs de spéculations sur lesquels se sont jetés la finance, les normaliens et les polytechni-riens (comme le Pinot noir, le Chardonnay, le Merlot, le Sauvignon, etc ) « Un Grand Cru nécessite un vigneron modeste, un cépage modeste met en lumière un grand vigneron. »
Cet aphorisme prend tout sons sens avec les blancs de Jurançon.
Le Petit Manseng érigea le Jurançon moelleux, plus certainement liquoreux si on reste pointilleux sur la terminologie ; la différence notable existant entre les teneurs en sucre, ne dépassant pas 45 g/l pour le premier et les dépassant outrageusement et pour notre plus grand plaisir, pour le second.
Sont tenues pour habitudes d’avoisiner les 100 g/l pour les liquoreux, et de dépasser les 250 g/l pour les VT ; au rang de « plus grand vin du sud-ouest » selon Pierre Citerne de la RVF ou bien « comparables aux rieslings sur-mûris d’Egon Müller » selon Mathieu Cosse, ces propos font référence au mythique Clos Joliette, sacralisé par Jeanne Migné.
Beaucoup ne tarissent pas d’éloges ce vin légendaire.
Rares sont les dégustateurs en quête d’une émotion, éphémère ou intemporelle, se retrouvant à court de superlatifs face à l’orfèvrerie jurançonnaise.
Oui, car voyez-vous le secret de cette harmonie entre les sucres résiduels et une acidité sans concession ni gants de velours, figure en tous ces éléments pré-cités, une combinaison de ces « caractéristiques uniques », combinées aux oreilles toujours attentives des vignerons face à l’inapprivoisable flore pyrénéenne dans un souci peu interventionniste.
De ces nectars aux teintes d’ambroisie et à la bouche melliflue, il est bienséant de citer quelques faiseurs de miracles, quelques magiciens du pH, suivant un ordre générationnel :
- Yvonne Hégoburu du Domaine de Souch situé à Jurançon, avec sa cuvée Marie Kattalin.
- Jean-Marc Grussaute du Domaine Camin Larreyda avec sa cuvée Capcéu.
- Louis-Benjamin Dagueneau avec ses Jardins de Babylone situé à Aubertin pour son sucre emblématique.
- Antoine Arraou du Château Lafitte situé à Monein avec son moelleux.
- Le couple Salharang du Clos Larrouyat situé à Gan avec leur cuvée Phénix.
- Jean-Baptiste Semmartin du Domaine Lajibe situé à Lucq-de-Béarn avec sa cuvée Serres-Seques VT.
Aucun millésime ne fut cité sciemment, la constance qualitative est indiscutable.
À noter également, que l’ensemble des cuvées proposées par chacun, allant des secs aux bulles, des macérations aux sucres, valent un arrêt sur verre.
Quelques arômes : les zestes d’agrumes confits, le miel intégral de fleurs de montagnes, le safran, la mangue champagne déshydratée, la truffe blanche d’été, la poésie, la Vie.
Quelques accords : sortez des sentiers moribonds cantonnant ces sucres aux desserts, et buvez-les pour eux-mêmes.
C’est avec ces vins que la définition de la tension, figurant dans un onglet ludique « À savoir, pour mieux boire » faite par Stéphane Lagorce dans son précis sur les vins naturels, prend tout son sens :
« Tension est un mot qui revient très souvent dans le jargon des naturels. Il désigne l’acidité des vins lorsqu’elle est maîtrisée, harmonieuse et qu’elle se fond avec les autres bouquets et saveurs du vin. La tension est associée à la buvabilité. Cette sensation de fraîcheur se remarque […] peut-être plus sur les vins à sucres résiduels que les vignerons au naturel ont vraiment réinventés, grâce à leur vinification qui apporte cette tension si expressive. »
Aucune dichotomie n’existe donc entre la tension et le sucre. Rien d’antithétique, d’aporétique, de chimérique. Le champ des possibles est ouvert, la boussole de votre palais vous promet d’être si déroutée, que poindra sans l’ombre d’un doute un état orgastique face à cet or liquide.
Existe un autre pôle(mique), celui des jurançons secs.
Oui, à l’heure des élucubrations provenant majoritairement de ces faiseurs de pluie décriés au début de ce billet ou spicilège pour qui veut, statuant sur les conséquences dramatiques de vins blancs devenant mollassons depuis presque une décade, se proclamant sourciers de la tension ; eh bien il est bon de leur rappeler, non sans brusquerie cicérone, qu’elle existe bel et bien, au point de générer chez l’amoureux du cornichon ne pouvant s’empêcher de saliver devant un rayon empli de l’objet de convoitise, une appétence à l’ivresse.
Oui, le Gros Manseng et ses modestes acolytes vous invitent et incitent, après la première lampée à vous cramponner, non pas à votre assise, mais à vos convictions, tant elles vont fondre comme beurre au soleil.
Nous sommes dévots et ne répondons plus aux codes de la bienséance, ni à notre pourtant dogmatique sens du partage face à deux cuvées de jurançon sec :
- Haure de Jean-baptiste Semmartin
- Comète de Lucie et Maxime Salharang
Il n’est point fondamental de répondre à la question, pourquoi n’est-ce pas ?
Aux amateurs de droiture dépourvus d’un esprit anguleux, sachez que le graal existe. Ici plus qu’ailleurs, et ailleurs plus qu’hier, et moins que demain.
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Rédactrice : Charlotte de Lucien et son vin
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