Lorsque l’on pense “appellation”, c’est quasi exclusivement et automatiquement que résonne la notion d’AOC, LA mention perçue comme gage de qualité supérieure par les consommateurs. Cela dit, c’est compréhensible, elles sont au nombre de 375 et constituent une référence sur nos tables; plus l’AOC est précise et comporte le saint terme de “cru”, plus elle fait envie pas vrai ?
D’accord mais les IGP alors ? Ce no man’s land en perpétuelle quête identitaire offre pourtant de très beaux moments gustatifs ! Partons à la découverte de l’une des plus vastes “Indication Géographique Protégée” de France, l’IGP Comté Tolosan ! Vous n’en avez jamais entendu parler malgré ses 2 272 hectares plantés ? Mise en lumière…
Zoom sur l’IGP Comté Tolosan
Création de l’IGP : 1982
Tout d’abord, la mention d’Indication Géographique Protégée fût créée dans les années 60 afin de réglementer la provenance de produits agroalimentaires. Elle s’est étendue aux vins en 2009 pour remplacer la mention Vin de Pays.
L’IGP Comté Tolosan est l’une des 6 indications géographiques régionales de l’hexagone. Une diversité affolante de cépages et de terroirs puisqu’elle traverse 300 kilomètres et 12 départements (Ariège, Aveyron, Haute-Garonne, Gers, Landes, Lot, Lot-et-Garonne, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques, Tarn, Tarn-et-Garonne et le Cantal).* Il existe toutefois une hiérarchie afin de délimiter des zones plus spécifiques, ces dernières sont définies en fonction de leurs départements, allons-y :
- IGP Landes, IGP Gers, IGP Agenais, IGP Côtes-du-lot, IGP Aveyron, IGP Côtes du Tarn et IGP Ariège.
- Des IGP de Territoire viennent compléter les dénominations autorisées telles que la célèbre IGP Côtes de Gascogne ainsi que l’IGP Lavilledieu, IGP Thézac Perricard, IGP Côteaux de Glanes et l’IGP Périgord.
Concrètement, tous les vignerons peuvent prétendre à L’IGP Comté Tolosan, car elle est la seule appellation à l’échelle régionale sur l’Occitanie et la Grande Aquitaine.
Puzzle climatique
Il est difficile d’établir un climat précis d’un territoire qui s’étend du Massif Central aux contreforts des Pyrénées en passant par les berges de la Garonne aux plages du Pays basque ! Cependant la découpe peut se faire selon 3 zones climatiques :
- Climat d’influence océanique tempérée, sur les sols de causses secondaires, à l’ouest et au nord,
- Climat plus continental aux hivers marqués, sur les terrains primaires ou métamorphiques des contreforts du Massif Central à l’est,
- Et climat plutôt méditerrannéen, couplé aux effets du foehn (vent chaud venu d’Espagne) sur une nature géologique complexe des piémonts pyrénéens, au sud.
Partout souffle le fameux vent d’Autan, caractéristique du Sud-Ouest qui assainit l’atmosphère en balayant les 300 variétés de cépages recensées dans la région ! 120 sont d’ailleurs autochtones; la majorité des rouges se compose néanmoins de cabernets sauvignons et francs, du duras et du fer servadou. Quant aux blancs, chardonnay, chenin, colombard, gros manseng, loin-de l’œil (len-de-l’el en occitan) ou encore mauzac s’y côtoient.
L’IGP Comté Tolosan produit 5% de vins blancs, 31% de rouges et 65% de rosés pour 157 000 hl par an, environ.
*Selon les chiffres de l’Interprofession des vins du Sud-Ouest : https://www.vignobles-sudouest.fr/project/igp-comte-tolosan/
Le Domaine de Ribonnet, exemple autant qu’exception !
“Quel est l’avenir de l’IGP Comté Tolosan ?” C’est la – vaste – question posée à Simon Gerber, vigneron-céréalier-sud-toulousain du Domaine de Ribonnet. 200 hectares de céréales et 20 hectares de vignes, le tout en bio, c’est le quotidien de ce trentenaire, qui a pris la suite de son père Christian, sur ce domaine créé 7 siècles plus tôt.
“En 1975 lorsque mon père est arrivé sur le domaine, il restait encore 40 hectares de vignes, toutes en Hybride Producteur Direct (variété issue d’un premier croisement entre une espèce sauvage et une variété de l’espèce Vitis vinifera)1.
Il a tout arraché pour replanter des vignes greffées. Il a commencé avec les cépages du sud-ouest puis a très vite demandé des dérogations pour pouvoir planter des cépages non originaires du sud-ouest : chardonnay, pinot noir, aligoté puis les cépages alsaciens ainsi que du chasselas suisse, les cépages de la vallées du Rhône et également du nebiollo ! En gros 25 cépages différents plantés, ce qui lui a valu le titre d’OVNI (objet viticole non identifié) et le titre de vigneron le plus innovant en 1997 par le guide Gault et Millau.”
Ces quelques mots illustrent parfaitement les avantages que confère l’IGP : un cahier des charges sans contraintes d’encépagement², de rendement, d’assemblage ou de vinification. Bien entendu des contrôles existent et les pratiques pour l’IGP sont réglementées3. Cette flexibilité créatrice sert la philosophie de ce domaine avant-gardiste, en termes d’agroforesterie notamment et de cultures méconnues (fenugrec, carthame, cameline, etc.).
Simon a d’ailleurs planté cette année 2,5 hectares de Syrah, d’Albariño (cépage blanc de Galice) et de Chenin ainsi que plus de 200 arbres pour développer la vitiforesterie. Vinifier des grenaches est en projet, tout comme faire la part belle à l’Aligoté également, cépage d’avenir peu précoce au faible taux alcoolique, aux bons rendements et à la conduite viticole plutôt facile. Expérimenter rend donc les terrains de jeu des IGP attrayants, à s’y perdre ?
1En savoir plus sur les Hybrides Producteurs Directs
²Cépages autorisés dans l’IGP Comté Tolosan : :https://www.franceagrimer.fr/content/download/60590/document/AnnexeBOagrimars20.pdf
3Cahier des charges de l’IGP Comté Tolosan (bonne lecture).
(En)Quête identitaire
A chaque époque son héritage ! Dans les années 60 / 70 un influent fortuné, connu sous le nom du Milliardaire Rouge, contrôlait de nombreuses caves coopératives de la rive gauche de la Garonne avec une vision monopolistico-communiste. Il commerçait avec la Russie et défendait une certaine idée du monde paysan et du partage; la création d’AOC précises aurait renforcé les principes capitalistiques et individualistes qu’il réfutait. Ainsi, la tradition des coopérateurs et de la mise en commun de la production est longtemps restée ancrée dans le paysage viticole du Comté Tolosan.
Ce brassage et le manque de clarté dû à la constellation de vignobles qui composent l’IGP, leur diversité géologique, climatique et géographique perd le dégustateur. Le manque d’identité caractérisée est un inconvénient notable pour une interprofession qui communique peu sur ses vins. D’autant plus que de nombreux coopérateurs ainsi que les grosses structures qui produisent des vins en IGP Comté Tolosan travaillent en conventionnel, aux rendements élevés, et utilisent d’importantes quantités d’intrants à la vigne comme au chai. Leurs vins sont largement commercialisés en grandes surfaces et à bas prix. Une vitrine peu valorisante dans laquelle Simon ne se reconnaît pas. Alors pourquoi ne pas être passé en Vin de France par exemple ?
“Nous avons gardé l’appellation Comté Tolosan car le domaine est situé à 30 minutes de Toulouse et a une histoire très liée avec la ville. Le château a été construit par la noblesse toulousaine à la fin du XVème siècle, elle y a résidé jusqu’à la Révolution Française. Il y a pour nous un certain lien avec cette « dénomination » de Comté Tolosan.”
Simon aimerait surtout offrir aux papilles des vins juteux, frais, friands tout en traduisant ses sols dans le verre. Il crée son propre style, et d’autres confrères portent le même projet.
Quel avenir pour l’IGP Comté Tolosan ?
Ce manque d’identité amène les entités locales à travailler ensemble. Une refonte de l’IGP étant très lourde et longue – et surtout, pas prévue – des groupements se forment dans les différentes IGP départementales. Une cohésion locale où l’on échange sur des techniques, les styles des vins, des besoins de formations. Simon nous confie que, malgré un certain isolement géographique, de plus en plus de jeunes s’installent et s’entraident pour valoriser les vins du sud toulousain (le concernant). Globalement, la nouvelle génération paraît encore peu impliquée tout simplement car elle ne sait pas quoi défendre.
L’IGP Comté Tolosan reste l’une des terres viticoles de France où le prix à l’hectare reste abordable (autour de 10 000€) et où la flexibilité par l’expérimentation est indéniable atout. L’IGP évoluera vraisemblablement au fil des associations locales. En attendant un hypothétique redécoupage, laissez-vous happer par l’originalité et l’incroyable variété des styles qu’offre l’IGP !
Retour de dégustation
Pinot/Syrah
Matière très juteuse et croquante. Les 80% de Syrah donnent les petites baies rouges légerement relevées par la note poivrée, quant au Pinot Noir, il assouplit le palais apporte de la finesse. Se boit sans soif, toute l’année.
Issus de sols argilo-limoneux, vendangés à la main en caissettes. Levures indigènes et vin élevé 50% en foudre neuf de 300l et 50% en foudre de 600l de 4 vins, pendant 12 mois.
Ou la trouver à Paris ?
La Zinguerie, 11ème
Les Caves de Prague, 12ème
Champion, 18ème
Prix caviste : aux alentours des 13 €
Retrouvez notre avant dernier article sur l’AOPC Jasnières
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Rédactrice : Hélène Savoye
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